Claire Genoux, « Maison de personne », lu par Isabelle Baladine Howald


Isabelle Baladine Howald ouvre avec tact ce livre fragile et terrible de Claire Genoux, « Maison de personne », aux éditions Unes.


 

Claire Genoux, Maison de personne, Unes, 2024, 107 p, 20 €





Profanation de l’enfance


J’ai sans doute déjà dû dire que certains livres sont si fragiles qu’on n’ose pas en parler, de peur de leur faire mal. Les écrire a certainement déjà été assez difficile mais paradoxalement certains ont une grande force et nous mettent par terre par leur présence, leur courage, leur lucidité.
Celui de Claire Genoux, Maison de personne, paru chez Unes, est de ceux-là.
Nous avions déjà beaucoup aimé Lynx, paru chez Corti, qui avait été remarqué comme on dit, c’est à dire qui nous avait déjà bien secoués.
Maison de personne ce sont des petits chocs forts de petits blocs, murs d’une maison très inhospitalière, où la violence semble mugir jusque dans les fissures, faire craquer les articulations des enfants. Encore une maison de monstres, encore. Il y en a beaucoup trop. Et chez les poètes aussi ça commence à craquer dans la poésie, les vers éclatent, trois, quatre mots maximum dans un vers qui cherche sa respiration d’enfant (je dois respirer  je dois
(p 13) qui se cache pour ne pas voir, ne pas entendre. Pas le choix pour l’enfant, il subit :

   d’un bras replié
   jusqu’au
 bord de
     quelqu’un
 d’autre renversé
sur le dos
  obligée
 de
mordre le coussin
   et cracher
   car toi
— ton pistolet chargé
 visait ma cuisse
(p 12)

Les mots claquent comme les gestes qui sont si violents, certains poèmes sont au bord du supportable mais IL FAUT les supporter. La « fleur » au centre du corps de l’enfant est violentée, la violence semble rétracter les murs et façonner cette écriture de cisaille : « écrire/ je sais/ est un ange blessé » (p 73), écrire ne sauve pas, écrire aide juste à dire. Les loups ne sont pas toujours dehors, le père, « Papa » haï ET aimé, comment s’en sortir… ? Mère, où est-elle ? C’est la faille absolue. C’est un livre d’odeurs et de bruits, très âpre à la lecture, je n’ose imaginer à l’écriture. Un courage, une tenue, une force presque saignante. Les terreurs de certaines enfants les rendent coupants comme une lame.
Ce livre est un joyau de lames.

Isabelle Baladine Howald


Claire Genoux, Maison de personne, Unes, 2024, 107 p, 20 €

BRUIT

   d’une enfance
qui
s’en va    gelée    
blanche éblouie
   son bagage
         jeté
contre la porte (p 22)


JE VAIS

   me calmer
tu disais   là-haut
moi je prenais
      l’enfant Tête
ouverte
 contre moi   il faut
rester près d’elle
— sa grande fleur sans blessure (p 37)


ÉCRIRE

  s’attache
sur des rabats
de soi même
 sur nos ailes (p 85)