Pierre Garnier, “Poésie plane”, lu par Isabelle Lévesque


Isabelle Lévesque invite ici le lecteur de Poesibao à l’intérieur de ce volume de poésie linéaire et de poésie spatialiste.


 

Pierre Garnier, Poésie plane, L’herbe qui tremble, 2024, 120 p., 16 €



L’éclair et le mystère

L’herbe qui tremble poursuit la publication d’œuvres de Pierre (1928-2014) et Ilse Garnier (1927-2020), avec Violette, fille des deux initiateurs du mouvement international de poésie spatialiste. Poésie Plane est un volume datant des années 1968-1970. En 1968, Pierre Garnier avait publié chez Gallimard Spatialisme et poésie concrète qui associait texte théorique et anthologie, ainsi qu’un recueil de poésie linéaire, Perpetuum mobile1. La publication de Poésie plane intervient pour les dix ans de la disparition du poète. En associant poésie spatialiste et poésie linéaire, Pierre Garnier affirmait leur complémentarité, que l’éditeur d’autrefois refusa.
Rilke affirmait : « Pour écrire un seul vers, […], il faut connaître les bêtes, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir le mouvement qui fait s’ouvrir les petites fleurs au matin2 » Cela, Pierre Garnier l’avait vu, le sentait et le savait. Poète et ornithologue, il était attentif à ce qui l’entourait. Ce qui ne l’entravait pas dans sa volonté de construire un mouvement de poésie spatialiste international. Sa poésie révèle toujours une dimension cosmique.

                   « le jardin reflue

                   le jardinier

                                      monte

                   parfois redescendant la Terre

         reverse tout dans le monde »

Aucune rupture entre « terre » et « Terre ». Ainsi voit-on tourner, dans un même mouvement, la Terre, l’oiseau, la lampe, l’âne, la roue de la bicyclette ou la grippe…
Les poèmes, très courts, sont mis en évidence par une mise en page qui privilégie la figuration du blanc :

                        ê

                  « r      veries »

L’autonomie relative donnée aux lettres et syllabes témoigne de l’esprit buissonnier du poète. Au lecteur d’établir les relations entre signes, lettres et mots. Cela suppose le plus souvent la prise en compte d’un champ sémantique élargi.
Si le mot suffit à faire impression, les signes de ponctuation peuvent les remplacer et ajouter au sens l’émotion, comme pour « œi ” l », ou encore « e!!e » : majuscule inutile, équilibre parfait pour ce parallélisme contenu dans le mot lui-même.
L’espace peut accroître la représentation mentale d’un mot. Ainsi, une lettre s’envole, comme peut le faire l’esprit du lecteur :

                         ê

                   « r       veries

Les mots sont les vrais personnages du livre. On peut y suivre les aventures de « ciel », « elle », « yeux », « oiseau », « poussière » et bien d’autres. Ainsi pour les deux premiers :

                               !
                            ci!    el
                               !
                               !
                               !
                               !
                               !      le

Pierre Garnier confiait à propos de ses poèmes linéaires : « Ces poèmes, dont l’économie est due à l’influence de la poésie concrète, sont souvent la confrontation de deux idées ou de deux images qui déclenchent, chez le lecteur, l’éclair poétique et ne retirent rien au mystère qui affleure.3 » Le poème précédemment cité frotte ainsi « ciel » et « elle » pour provoquer chez le lecteur l’« éclair poétique ».
Un autre poète ornithologue justifiait ainsi le titre de son livre, La Vie volatile : « J’ai choisi les volatiles dont le nom qualifie la vie : planante ou battante, passagère jusqu’au bout.4 » Ici, bien sûr, la « poésie plane », comme les oiseaux planeurs entre ciel et terre ou mer. L’« éclair poétique », chez Pierre Garnier accompagne souvent le mystère d’une transcendance. Jacques Demarcq ajoutait : « Dans un poème, les signes sont des actes. Le ratage peut se révéler réussite, et vice versa. Pas facile d’être léger !4 » Pierre Garnier recherche également cette sorte de légèreté qui favorise, verticalement, l’envol, mais n’empêche pas la chute.

« nos os descendront vers la craie
leur grand amour

                   nous ne cesserons jamais d’aimer »

Deux mots confrontés, « os » et « craie », le mot du lien, « amour », et voici que l’envol final semble libérer de la chute inéluctable. Célébrant des choses simples, élémentaires, Pierre Garnier compose une poésie qu’il veut objective sans pour autant évacuer le lyrisme.
Dans Les Travailleurs de la mer, Victor Hugo disait de Gilliatt : « Il avait un faible pour les oiseaux. C’est un signe auquel on reconnaît généralement les magiciens. » Pierre Garnier est de ces magiciens.

Isabelle Lévesque

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1 Perpetuum mobile a été réédité par L’herbe qui tremble en 2020, avec des poèmes inédits.
2 Rainer Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge – traduction de Claude David (Gallimard, 1991)
3 Perpetuum mobile (L’herbe qui tremble, 2020)
4 Jacques Demarcq, La Vie volatile (Éditions Nous, 2020)
5 Ibidem

Extraits :

p.36

terre variable dans l’épaisseur

                – vers là –

– et vers là –

                 vers son axe le poids s’amenuise

entre là et là de plus en plus légère

*

p.60

l’oiseau bâtit son nid
pour que l’univers
commence avec l’univers

                            on voit dans cette colline
                            le flanc de la terre qui tourne

*

p.80

     l’oiseau

                 ne vole pas


il s’espace

*

p.25

y
  y
    y
      y
        y
          y
            yeux
          y
        y
      y
    y
  y
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