Theombogü, “Un végan chez les Pygmées”, lu par Claude Mouchard


Claude Mouchard propose une traversée d’un récit d’une douce radicalité signé du jeune poète Theombogü, “Un Végan chez les Pygmées”


 

Theombogü, Un végan chez les Pygmées, Pétra, 2022, 196 p., 16€

 

En lisant « Un végan chez les Pygmées »

« Que dire de plus ? J’ai essayé d’écrire, sous forme d’un journal intime, ma vie végane et mon expérience chez les Pygmées. »
 
Ce roman a quelque chose d’un conte philosophique. Par sa brièveté et sa singulière énergie. Par son ton, dont on ne saurait dire s’il est tragique ou ironique. Par sa visée même qui semble ne pas hésiter à se faire didactique, voire militante.
Son titre même nous invite-t-il à suivre – « chez… » – quelque récit de voyage exemplaire, dont on pourrait recevoir un enseignement ?
« Un végan chez les Pygmées »… : Les deux substantifs entrent d’emblée en tension ! « Pygmée » vient du grec ancien (et de récits antiques). « Végan » est la francisation d’un mot forgé en anglais il y a un peu plus d’un demi-siècle.
Le « véganisme » est un mode de vie radical par son refus d’avoir recours à tout produit issu de l’exploitation (et d’abord, évidemment, de la mise à mort) des animaux. Les Pygmées seraient, eux, connus pour leur mode de vie entièrement dépendant de la forêt et pour leur consommation de chairs d’animaux de toutes les espèces.
Le titre recèle donc une manière d’impossibilité ; en tout cas, il annonce la plus improbable, la plus intenable des situations.
 
L’aventure du personnage – le « végan » – nous est contée sur le mode du journal intime, avec une troublante évidence. Nulle violence chez le jeune homme venu de France ou dans son antispécisme, mais une inflexible détermination.
Sa décision de ne pas renoncer à son choix de vie, alors même qu’il a décidé de passer une année entière chez les Pygmées, paraît sur le point de mettre sa vie en danger : ne va-t-il pas, durement, mourir de faim ?
 
Ce qu’on découvre encore, c’est la fort singulière position du jeune homme dans cette société – voire cet univers – pygmée.
Loin d’être un pur et simple étranger qui viendrait en voyageur, ou même en touriste (comme le font certains personnages épisodiquement rencontrés par lui au fil du récit), il a un lien essentiel, vital, avec le monde qu’il découvre : en effet, si son père est français, sa mère est, elle, d’origine pygmée…
Il y a donc dans ce voyage quelque chose d’un retour aux origines – en tout cas, pour la moitié – du personnage.
Mais du côté des origines françaises, le lecteur sera au passage retenu, et soudain vivement touché, par les allusions laconiques au « père du père », à un homme qui fut, d’évidence, profondément aimé et respecté par le jeune homme, mais qu’un désespoir à peine formulé aura conduit au suicide.
 
Quelle douceur inflexible chez ce jeune homme en qui les Pygmées voient un « petit blanc » ?
En formulant pour lui-même les effets – voire les dangers – de la situation où il s’est mis, voici que le personnage ouvre pour nous (par la plus moindre de ses phrases) le monde qu’il (re)découvre, mais aussi, avec une furtive ampleur, la réalité humaine dans toutes ses férocités et avec l’universalité paradoxale de ses sanglantes divisions – celles dont elle s’affecte elle-même aussi bien que celles qu’elle inflige au monde et à la vie en ses diverses sphères animales et végétales.
 
Comme il nous parle de près, ce surprenant récit ! Son évidence n’en demeure pas moins énigmatique : c’est par une douce radicalité qu’à tout moment il déconcerte voire bouleverse le lecteur.
 
« Me voici étendu par terre, incapable de me relever, de parler, de bouger. Tout est sombre autour de moi. Je n’entends plus de voix. » Voilà ce que nous lisons-nous non loin de la fin du récit. L’aventure du végan s’abîme-t-elle donc dans le désespoir et la mort ?
En un dernier sursaut, c’est une dernière affirmation de sa foi en la vie végane (qui déboucherait sur la réconciliation entre tous les vivants) que le mourant est supposé nous faire entendre.
Les dernières phrases attribuées au « petit blanc » (d’ascendance pygmée par sa mère) écroulé sur le sol portent à son comble – ou plutôt à l’impossible – la simplicité énigmatique de ses propos tels que nous les aurons entendus tout au long du récit : ce jeune homme mourant de faim sur le sol, basculant dans la nuit de la mort, pourra-t-il, dans un impossible instant, déchiffrer ce qu’il aura tracé juste avant de s’éteindre ?  
 
Claude Mouchard
 
Theombogü, Un végan chez les Pygmées, Pétra, 2022, 196 p., 16€
 

Sur le site de l’éditeur
(carte blanche) à Claude Mouchard autour du poète et romancier camerounais Theombogü