Substantiel extrait de ‘Ryrkaïpii’ de Philippe Beck


Les éditions Flammarion publient ‘Ryrkaïpii’ de Philippe Beck où il est question d’ours blanc et d’un village du Grand Nord.


Philippe Beck, ‘Ryrkaïpii’, Flammarion, 2023 (parution le 15 février), 176 p., 20€


1.
Chaque être dans le procès
de poids de sa montée déliée,
qui soulève le statué,
a une prison privative,
une Défensive Orchidée ;
et tout ce qui est sien
(étoile, épave idiomatique,
puits, lune aux sillons obscurs)
est en avant comme le bois
de captation, qui s’éveille violon
ou clairon. Il est symphoniquement
inachevé et fond la rivière immobile
et domptée. Il dit des onomatopées
frappées comme des pièces,
et le dénouement figuré dans la lettre de l’air.
La production du ralliement
à la « personnalité invisible »,
au modèle clair, veau de suif ou de plomb,
suscite le monologue de Burlone
à des marins épuisés
et des silex ébréchés.
Exercices élastiques de l’administration,
décrets de simplification,
tactiques du devoir dans un manteau
de caoutchouc, schématismes-leviers, drills et knouts,
y apparaissent, selon la « liberté des forêts »
pour se défaire des pressions.
Je les ai relégués à la mésosphère.
Mais ils traversent le désir de cité
comme des décisions intéressées
et captivées, des étoffes
critiques ; j’en dis le remouvement d’esprit —
la rétroaction-comédie,
la tâche basse enveloppée de silence.
Il y a basseur et descente abaissée,
terribilité. Trempée
jusqu’aux os dans la matière.
À Comédie, je ne suis pas égal
au destin. Je forme mon caractère sans nom.

Par exemple, Proust monte dans Nouveau Platon
en disant a) que chaque être pénible
peut être rattaché
par nous à quelque divinité dont il est
seulement un reflet fragmentaire
et le dernier degré,
et b) que la contemplation
de cette Idée-Déité
nous réjouit et chasse la peine.
L’art de vivre utilise les pénibles
comme un degré
pour accéder à leur forme divine
et peupler euphoriquement
notre vie de causes légendées ?
Et la guerre ? Elle vient d’un irresponsable
royaume d’opérettes plein de divinités ?
Elle est une idée de la joie contemplée ?
Loup-Mémoire, gorgé d’images
chaotiques, au seuil de la forêt
des débris à penser, rêve
l’Hypnerotomachie,
la joute aimante dans la tête de nuit,
le sens de Polia au combat.

Entre connexion douce et syntaxière,
la charmeuse de serpents,
et connexion rude étrangère
qui de loin réveille l’âme corporelle,
Tête, Antioreiller plein d’Éjur chantée
ou de Béhuliphruen aux grands catalpas,
la zone restreinte détaille
les clauses du célibat peintre.
Métasculpteur est un guerrier
réjoui de l’astre dur
et du fer rouge qui figure
la paille d’étincelles et de cendres ?
Tête-Aile, la feuille ronde,
est système suspensif,
surface enchantée, laisse
de vagabondage couverte de rosée.
Le thyrse aux fleurs de désert
trace le cylindre sur la plage.
Chacun en a omis le défini
et le retrouve par l’art d’un bâton,
l’ange des ripple-marks.

Le classique du non-vide apparaît.
Colombe significative
ou instance gazeuse, bijou de laiton
à l’extraordinaire entêtement banal,
vitrologue dévoile un poisson
comme lunette d’approche,
le porc de rivière et le chaudron.
Vitrographe est un mesurage.
Dauphin à grosse tête,
je capte le fourmi-lion
vers le marais prospecté.
« Moine athée » avec un vrai système
des champs, Dom Léger
et Achab-qui-dure, cinézootrope
qui dit son dire. Jongleur
et patineur, je prépare une splanchnologie, un extérieur
du poème asoleillé.

Philippe Beck, ‘Ryrkaïpii’, Flammarion, 2023 (parution le 15 février), 176 p., 20€


En décembre 2019, un article consacré aux ours blancs qui approchaient inhabituellement du village de Ryrkaïpii, au bord des rives arctiques de la Tchoukotka, à l’extrémité nord-est de la Russie, m’a fait écrire une hilarotragédie sensuelle. Jusqu’au printemps 2020, l’ours en est devenu le héros ou l’antihéros non fatigué. Dans la chasse de l’époque, qui renouvelle la danse des atomes de tous entre désir, faim et pensée, l’animal-guide, c’est ici Monsieur-Madame Tout-le-Monde. Chacun rêve à l’origine des choses, à l’ironie de la communauté, et n’en revient pas. Qui est l’homme qui a vu l’ours qui a vu l’homme ? Des femmes légendaires ou réelles comme modèles, un révolté ascétique, un voyageur tatoué et déclinant, un possible affolé retiré etc. sont les personnages d’une semi-tragédie lyrique et les avatars de la bête voisine que les humains («les inhumains» plutôt) s’efforcent d’entendre dans la peur.

Sorte d’idylle comique également, RyrkaiPii est une suite à Dans de la nature (2003), écrit en marge du Poésie naïve et poésie sentimentale de Schiller. (Quatrième de couverture)

 

Né en 1963 à Strasbourg, Philippe Beck a reçu en 2015 le Grand Prix de poésie de l’Académie française. Depuis Dernière mode familiale (2000), Ryrkaïpii est le huitième livre de poésie qu’il publie aux éditions Flammarion.