De substantiels extraits d’un texte en cours du neurobiologiste et poète Sébastien Ecorce, “Phusis”, où le son est très présent.
Phusis I
La poésie mélange des tissus synthétiques et naturels pour évacuer la transpiration du front brillant du lecteur.
Je lis de la musique. Comme le touché pourrait le faire.
Je ne crois pas en Dieu, mais je me pose des questions.
Une ville ne travaille jamais seule.
Je crois aux cercles : les couronnes, les bobines de film, les ronds-points, la lettre O.
Je crains qu’il n’y ait pas assez d’images dans ce poème.
Je me tiens devant l’essaim et passe mon archet sur la corde, une seule note sur un seul instrument. L’essaim répond : bourdonnement d’accord.
Quelque chose de l’écholocation.
Il y a une fenêtre sur cette image.
Pourquoi décrire une image quand je peux vous dire tout ce qu’elle n’est pas.
À l’université, les chauves-souris volaient dans la bibliothèque et restaient coincées.
Ne pas lire la musique comme un étudiant.
Frapper les bonnes notes.
Poser le doigt humide sur cette cymbale émoussée.
Ne vous inquiétez pas, personne ne meurt dans les Bandes dessinées.
Jouer au milieu de l’orchestre. C’est déjà une modulation d’espace.
Je suis dans une phase de tonalisation mineure.
Les villes désespérées ont une sonorité particulière. Elles dégagent une toxine un peu gazeuse.
Mettre le son en avant. Ne pas le capter.
Culte n’est qu’un autre mot pour désigner un lieu fermé à toute source de lumière extérieure à la sienne.
Le son est un temps pressé.
Il n’y a pas d’Image sans monstre, comme ce qui entre dans la pièce avant le mot.
Sous les huiles, Van Gogh visait « non pas une main mais le geste » d’une main.
La répétition du mot : calculez son spin.
C’est aussi l’élan qui me fait peur.
Comme une folie, comme des miroirs.
S’il est visible, mais il n’est jamais visible.
« Dieu vient en rose », c’est ce que j’ai décidé qu’elle voulait dire, ou « parfois, Dieu n’est pas la lumière, seulement ce contre quoi la lumière doit briller ».
« Tout n’a aucun sens ! » C’est ce qu’il criait parfois devant la classe.
La justice pourrait être ce que vous voyez, c’est ce que vous obtenez.
Si le son fleurit, les choses pourraient devenir orchestrales.
Il y a un troupeau de son sur ma bibliothèque et dans mon rêve, il vole haut au-dessus des collines d’oliviers.
Un rythme régulier et contrôlé. Respire, respire. Il est censé y avoir des fleurs.
Une aorte en porcelaine. Un poumon noir. Parce que tu es baryton dans une chorale.
Le motif est une litière à dégager une fine fleur d’objet.
Une harmonie qui s’enroule autour d’un trou à spiralisation.
La note est une graine noire dans une nuit sans étoiles.
Le son dans l’espace, un groupe solidifié d’une longue chaîne à dissoudre.
Le goût est toujours axiomatique.
La maison humaine est une compositrice qui marque des sons.
Le son fabrique du temps à l’intérieur.
Le silence graminée. Etire – synchrone.
La répétition dans les bords encadrés. Pousser les circuits. La cadence.
Hésitation collective comme une marche de l’ensemble. Décalage des enchaînements. Grande largeur. Mixte. Des clôtures.
Enfiler le trait. Mince. Comme fil. Passe net. Entre la peau.
Le son métallique. Interminable. Le cueillir.
La torsion à travers le silence du geste.
Des mains, s’accrocher à quelles notes ?
Faire de la répétition, une intrigue pivotée.
Un motif d’étourneaux marqué par des sabots.
Ouvrir la vanne d’ondulation de velours. Une berceuse de rythmes mesurés. Le mépris du silence qui hante le doux.
Le son me récupère dans l’œil à ciel ouvert.
Il thésaurise le moment de lumière. Un son pliant, solaire.
Le son capte l’oiseau noir de la lumière. Est-ce un signe de glissando dans l’humidité de l’air ?
Toucher un son qui n’est pas une béquille. Mais cet « allant », cette position dans le transfert, ce changement d’appui, à l’infime irrégularité, une sorte de petit cartilage de souffle portant sur une surface légèrement abrasée.
Le souffle de ses bronches. Rien ne tenait.
L’écho n’est pas l’Autre du son.
Le paysage sonore latéralisé est un champ de vision périphérique qui tend à décliner, s’estomper, assiégé par la mémoire qui s’en détache, et s’en décompose de sa fondation principielle axiale. C’est un paysage sonore qui recrée sa déformation. Sa division. Et ses modes de continuités.
Sébastien Ecorce, Phusis, inédits
Professeur de neurobiologie, Pitié Salpêtrière, Icm, co-responsable de la plateforme de financement, Neurocytolab, bricoleur de mots. Créateur graphique. Pianiste.
Auteur avec Michèle Dujardin de « Lignes » aux éditions Publie.net. Diverses créations en revues numériques ou papiers. Libr critique, Diacritik, Poezibao, sitaudis, le nouveau recueil, Remue.net, etc.