Sabine Sicaud (1913-1928), « Le Chemin de sable », extraits


Dans sa collection La Bibliothèques des Impardonnables, Fario publie « Le Chemin de Sable » d’une poète presqu’inconnue, Sabine Sicaud.


Sabine Sicaud, Le Chemin de Sable, Fario, bibliothèque des Impardonnables, 72 p., 12€


LE CHEMIN CREUX

Le vieux chemin creusé d’ornières ?
Il a trop plu.
Le vieux chemin de la Carrière,
Celui du vieux moulin qui ne moud plus,
Le chemin du Seigneur qui n’a plus de château,
Le chemin du Bourreau,
Le chemin de la malle-poste,
Et ceux qui les croisaient, tous les chemins herbus,
Tous les chemins pleins d’eau,
Tous les chemins perdus…
Entre les ronces hautes,
Les prunelliers, la douce-amère, les bryones,
Le vert était celui des grottes et le jaune
Celui de la mélancolie.
Même le gel craquant sous le pas des brebis
Y devient triste avant la nuit tombée.
Les chemins creux, la pluie,
Le givre gris,
Le dernier scarabée…

Prenons la route neuve
Qui sur un pont solide et neuf passe le fleuve.

*

DEMAIN (EXTRAIT)

Tout voir – je vous ai dit que je voulais tout voir,
Tout voir et tout connaître !
Ah! ne pas seulement le rêver… le pouvoir !

Ne pas se contenter d’une seule fenêtre
Sur un même horizon,
Mais dans chaque pays avoir une maison
Et flâner à son gré de l’une à l’autre – ou mieux,
Avoir cette maison roulante,
Cette maison volante, d’où les yeux
Peuvent aller plus loin, plus loin toujours ! Attente
D’on ne sait quoi… je veux savoir ce qu’on attend.

Tout savoir… Tout savoir de l’univers profond,
Des êtres et des choses,
De la terre et des astres, jusqu’au fond.
Savoir la cause
De cet amour qu’on a pour des noms de pays,
Des noms qui chantent à l’oreille avec instance
Comme s’ils appelaient depuis longtemps,
Depuis toujours – des noms immenses
Dont est envahi
Ou des noms tout petits, presque ignorés
(…)

*

DOULEUR, JE VOUS DÉTESTE

                                                           L’Honneur de souffrir
                                                            
Anna de Noailles

Douleur, je vous déteste ! Ah! que je vous déteste !
Souffrance, je vous hais, je vous crains, j’ai l’horreur
De votre guet sournois, de ce frisson qui reste
Derrière vous, dans la chair, dans le cœur…

Derrière vous, parfois vous précédant,
J’ai senti cette chose inexprimable, affreuse :
Une bête invisible aux minuscules dents
Qui vient comme la taupe et fouille et mord et creuse
Dans la belle santé confiante – pendant
Que l’air est bleu, le soleil calme, l’eau si fraîche !

Ah! « l’Honneur de souffrir » ?… Souffrance aux lèvres sèches,
Souffrance laide, quoi qu’on dise, quel que soit
Votre déguisement – Souffrance
Foudroyante ou tenace ou les deux à la fois –
Moi je vous vois comme un péché, comme une offense
A l’allègre douceur de vivre, d’être sain
Parmi les fruits luisants, des feuilles vertes,
Des jardins faisant signe aux fenêtres ouvertes…
(…)

Sabine Sicaud, Le Chemin de Sable, Fario, bibliothèque des Impardonnables, 72 p., 12€


Note de l’éditeur, sur son site
L’unique recueil anthume de Sabine Sicaud (1913 – 1928) paraît en 1926, préfacé par madame de Noailles. Il reste à l’auteur deux ans à vivre. Dans son cas, le misérabilisme cher à la nécrophilie littéraire serait insuffisant : elle est morte enfant. C’est là une monstruosité du destin que les amateurs friands de « poètes morts jeunes » eux-mêmes hésiteraient à mettre en avant. Du reste, la toute jeune fille avait d’emblée fait un sort au mot malencontreux d’Anna de Brancovan sur « l’honneur de souffrir ». On ne sait pas bien dire si en la comparant dans ses Mythologies à Minou Drouet, Barthes aura été tellement plus heureux. Mais sa précocité exceptionnelle ne devrait pas pour autant interdire de constater que l’esprit de poésie soufflant où il veut, l’enfant prodige aura bénéficié de ses largesses.
Dans cet ensemble choisi, ce Chemin de sable éponyme, où deux crépuscules coïncident à la genèse de l’œuvre — puisqu’en bouton Sabine écrit la page où il lui faut mourir —, le vertige de la souffrance et du pressentiment de la fin épousent une forme d’acuité de l’intelligence et de la sensibilité qui sont ce don de poésie dont les accents ne trompent pas :
C’était bien le moins que d’intégrer l’impardonnable adolescente de la villa « Solitude » nom de sa demeure familiale dans le Sud-Ouest, au catalogue en progrès de notre Bibliothèque. Ne serait-ce que pour rafraîchir une mémoire éditoriale encline à l’oubli. Rien d’elle n’avait paru d’assez complet depuis 1958. Oui, il était grand temps.