Sabine Péglion, « L’Espérance d’un bleu », par Régis Lefort


Régis Lefort évoque ici l’entremêlement et l’entretissement des voix de ce livre de la poète Sabine Péglion, L’Espérance d’un bleu.


À la lisière d’être


Hésitant entre la lumière du jour et son atermoiement afin que le soir habille le poème d’obscurité, des voix s’entremêlent, s’entretiennent, s’entretissent. Des silhouettes fantomatiques suivent leur chemin d’errance où chante une musique que l’on reconnaît pour sienne tout en l’ignorant. Sabine Péglion installe ainsi une atmosphère qu’elle nous invite à partager en franchissant la « lisière de soi », cette frontière entre qui je suis (« Le corps s’impose ») et qui se cache en moi (« l’esprit s’enfuit »).  
S’il est souvent question de naissance ou d’éveil pour saisir, apprivoiser, affronter, être là, en ce monde énigmatique et lumineux, reste un émerveillement où le présent semble comme figé. Même les mots se dérobent à s’étonner d’être là.
Glissement, feulement, frôlement, vacillement, tout se dit dans la discrétion ou l’incertitude. Mais c’est l’image de la brisure qui revient, plus fréquente, et porte dans la faille ainsi provoquée le désir de réel, celui de la vibration d’un monde sensible. C’est aussi dans le « bleu ouvert de la blessure » que l’espérance, comme un ciel frappé de maléfices, cherche dans son errance constitutive le poème en liberté. C’est dans la brisure, la cassure, fréquemment évoquées, qu’il s’agit de chercher le pouvoir de cautérisation pour rester en contact avec les choses de la vie.
L’oiseau, qui ouvre le ciel, autre plongeur de Paestum, s’envole vers la lumière, apparaît comme l’image de l’espérance même, celle qui guide aussi le travail d’écriture. Qu’une lave surgisse, suivie d’une coulée, c’est exactement là où chercher peut-être le poème, dans cette brisure de la terre à ciel ouvert, là où brillent quelques mots, ce qui reste de lumière étourdie, ce qui reste de mots offerts pour former poème.
Parfois, dans le poème de Sabine Péglion, on peut lire une parabole de la vie qui se délite, l’âge avançant, comme la parole du poème peut s’user de traverser le temps. Il faut alors accepter que la couleur du soir enveloppe le jour. La peur de tressaillir ne doit cependant pas effacer l’énergie, le crépitement, la danse.

Régis Lefort

Sabine Péglion, L’espérance d’un bleu, éditions de La tête à l’envers, 2024, 66 p., 19€


Extrait (p. 32)

Pourtant
écoute     encore

Un chant surgit du plus profond
de la nuit


en oubli de leurs ailes
sur des rives nouvelles

leur bec ouvre le ciel

dénoue les derniers fils
des nuages