René Noël, “D’étoiles”, lu par Philippe Di Meo


Philippe Di Meo invite à nager dans la “sensualité astrale incommensurable” du livre “D’étoiles” de René Noël, éditions La Nerthe.



René Noël, D’étoiles, Editions de la Nerthe, 2023, 68 p.,12€.


ÉTOILEMENTS

Qu’un recueil intitulé D’étoiles présente un langage étoilé n’est pas fait pour nous surprendre, qu’il semble trempé dans le lait phosphorescent de la voie lactée pas davantage. Aussi est-ce un vrai bonheur de nager avec le poète dans cette sensualité astrale incommensurable.
Mais de quoi retourne-t-il ? D’un recueil qui s’ouvre et se referme sur deux courts poèmes. Le premier est intitulé Vent, le dernier Nuit. Dans l’entre-deux, prend place un très long poème tout à la fois unitaire et finement morcelé. Nous y reviendrons.

Au fil de la lecture, nous comprenons que le Vent – cosmique, est-il sous-entendu manigance et dynamise la faune et la flore lumineuse de la Nuit évidemment fascinante, évidemment palpitante. De toute “nuit” : celles d’une tradition poétique occidentale insistante, ici réinventée, et celle de René Noël telle qu’il la sent, décrit et prolonge d’alinéas en alinéas.
Il n’est donc pas de « nuit » sans mouvement.
Vers après vers, se donne libre cours une volonté d’appréhender les étoiles « délut / Tées ». Autrement dit, selon une optique cinétique. Soit : arrachées et à une immobilité stylistique et à un point d’observation fixe, incapables de rendre compte de la splendeur nocturne et de l’écharpe de sa marqueterie. Nous semble-t-il comprendre. Regardons-y d’un peu plus près, citation à l’appui :

Vent

Étoiles délut-
Tées toxines
Arrachées fau-
Che la marche sa-
Tellisé vent syl-
Labique libè-
Re la stratosphè-
Re oxydée

Pour ce faire, en artisan inspiré, René Noël met en œuvre une technique d’écriture originale lui appartenant en propre. Il morcèle ses mots déportés par un « vent syllabique » (un clinamen ?), les coupant d’un tiret qui les fait ainsi se terminer au vers suivant.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un simple enjambement, certes renouvelé incidemment de cette façon, mais peut-être d’une volonté de tout à la fois retarder la lecture du poème, et donc de fragmenter le texte poétique, presque mot après mot, pour créer un subtil engrenage stylistique également dans lequel le moindre mot, tout à la fois décomposé et aussitôt recomposé syllabiquement par un tiret, entraîne l’œil, l’esprit et la sensibilité du lecteur pour en aviver l’attention, la disponibilité que supposent le spectacle du firmament et son fourmillant équivalent verbal. De tiret en tiret, le pointillage graphique de l’écriture mime le pointillé stellaire.
Cette façon de faire suscite chez le lecteur une sorte de lente mastication mentale ménageant la possibilité d’une méditation hautement profitable induite par la contemplation.
L’accidentalité de la distribution inattendue, et si personnelle, des minuscules et des majuscules suscite non seulement l’attention mais restitue de surcroît visuellement dans le corps des vocables l’effet de réverbération et d’étincellement propre aux astres nocturnes lorsqu’on les considère.
C’est à ce point, que pour un peu, lisant René Noël, nous écarquillerions et plisserions, mentalement et réellement, les yeux avec lui, de scintillements en clignotements, de mouvantes brillances en vacillants poudroiements.
De sorte que l’adéquation d’un style à son objet a rarement été poussée aussi loin que chez René Noël. Le décalque et la cartographie du ciel nocturne transparaît lexicalement chez lui de façon éclatante avec sa part d’obscurité ontologique et sa part d’évidence lumineuse, de dispersion et de concordance, pour illustrer l’intrigante cohérence d’un tout cosmique tout à ses pulsations, à sa mystérieuse vie miroitante, infiniment mobile, infiniment palpitante.
Il faut souligner qu’en regard de son premier recueil, Bancs de rayons [1], René Noël se renouvelle stylistiquement si profondément que la parenté de ses deux recueils apparaît problématique. Il ne se plagie nullement. Très peu parviennent à pareille prouesse.

Philippe Di Meo

René Noël, D’étoiles, Editions de la Nerthe, 2023, 68 p. ; 12€.

[1] Cf. René Noël, Bancs de rayons, La Termitière, 2009.