Pierre Cendors, “L’horizon d’un instant”, lu par Laurent Fassin


Laurent Fassin permet aux lecteurs de Poesibao d’entrer dans ce livre et la fabrique de Pierre Cendors, “L’horizon d’un instant”.


 

Pierre Cendors, L’horizon d’un instant, peintures de Claire Chesnier, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2023, 96 p., 20€.


Comment en usant du langage s’alléger de sa pesée ? Et pourquoi cet effort, cette soif – au nom de quel dessein ? Ouvert aux grands espaces, répondant à leur appel Pierre Cendors recherche l’origine  ̶  un silence d’avant les mots, à la source d’une appréhension de l’être au monde : « C’est là, en nous, depuis le premier âge. Depuis la nuit des temps de l’enfance. »

En ce qu’elle habite un homme lettré (lequel au mot littérature préférerait celui de littératage), une quête de cette nature n’en doit pas moins recourir aux outils à sa disposition ; ces fameux mots qui le requièrent, mais dont il se défie : « Le langage premier évolue à une profondeur où la parole descend rarement. »

Dès lors, la voix porteuse d’une tension privilégie une expression comme électrisée au contact des éléments. Elle participe de leur essor, de leur élan, laissant à travers eux fuser la mélodie et l’accord : « On écrit pour aller à la rencontre de ses espaces sauvages, pour cheminer dans cet immense territoire où tout se tait. »

D’une telle démarche découle une poésie de solitude et d’un grand dénuement. Après Chant runique du vide (Eclats d’encre, 2010), Rimbaudelaire Road (La Part commune, 2011), Les Hauts Bois (Isolato, 2013), le plus récent recueil de Pierre Cendors, L’horizon d’un instant (L’Atelier contemporain, 2023), se décompose en plusieurs mouvements : Seul nous parle, Radiance nocturne, Cime de l’instant, Intempérie du réel, L’horizon du sans-nom, Aube marine. Les modulations de l’ensemble soutiennent une pensée qui ne lâche jamais prise, mais insensiblement nous prend sous son aile avant de se fondre dans une totalité : « Nous n’irons plus loin sans d’abord nous arrêter aux pieds des cimes de cet instant. Laissons l’instant, tout instant, se hausser à son altitude d’astre dans l’immobilité respirante d’une présence. »

Accueillir un monde aux lisières du visible, attendre des réponses non exclusivement du dicible, telle est la double exigence. Comme libéré de sa gangue temporelle, du brouillage qu’opèrent les apparences, l’instant s’offre en plénitude. Cité en épigraphe du recueil Franz Kafka écrivait : « Tout dépend de l’instant. C’est lui qui détermine la vie. »

Amies des objets célestes d’une Anna-Eva Bergman ou des transparences limites d’une Geneviève Asse, les peintures de Claire Chesnier aux subtiles variations donnent leur tonalité à chacun des mouvements successifs. Ces encres sur papier suggèrent une plongée dans une dimension nouvelle qu’irradie le spectre lumineux. De « l’étendue muette des pages » peut alors s’élever le chant  ̶  la vision de l’artiste ajoutant au vertige auquel nous convie le poète.

L’objet-livre conçu par L’Atelier contemporain en donne la mesure par son format, la sobriété de la mise en page, une couverture rigide presque minérale.

Laurent Fassin

Pierre Cendors, L’horizon d’un instant, peintures de Claire Chesnier, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2023, 96 p., 20,00 €.
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