Pierre Cendors, « L’Horizon d’un instant », extraits


Poesibao propose ici quelques extraits et une présentation du livre de Pierre Cendors paru à l’Atelier contemporain, L’Horizon d’un instant.


 

Pierre Cendors, L’Horizon d’un instant, peintures de Claire Chesnier, L’Atelier contemporain, 2023, 96 p., 20€


Une montagne blanchie par la nouvelle neige. L’ombre d’un
nuage glissant sur un versant. Des vents errants s’entrecroi-
sant sur la lande embrumée


                        Seul nous parle ce qui est sans parole.

*

Quelque chose ou quelqu’un en nous n’appartient pas au
langage humanisé, n’appartient pas au règne social


                                                                                 C’est là à l’intérieur
                                                       plus silencieux même que le silence
                    comme la face cachée de la lune que nul jamais n’aperçoit

*

C’est là, en nous, depuis le premier âge. Depuis la nuit des
temps de l’enfance


Une nuit plus ancienne que l’homme

*

Soyons sans hâte. Celui qui sait d’avance où aller n’ira pas
plus loin.


Ne cherchons pas à quitter l’instant avant que
n’advienne son incandescence. Laissons en nous
son gisement continûment s’accroître.

*

Nous n’irons plus loin sans d’abord nous arrêter aux pieds
des cimes de cet instant. Laissons l’instant, tout instant, se
hausser à son altitude d’astre dans l’immobilité respirante
d’une présence


« Tout dépend de l’instant. C’est lui qui détermine la vie. » C’est sous le signe de cette phrase fulgurante de Franz Kafka, le « Loup de Bohème » comme il le nomme, que se place L’Horizon d’un instant de Pierre Cendors. Cela dit une volonté d’intensifier chaque instant de notre vie errante à travers les bruissements cosmiques : « Ne cherchons pas à quitter l’instant avant que n’advienne son incandescence. Laissons en nous son gisement continûment s’accroître. »
L’horizon d’un instant témoigne d’une grande attention aux présences terrestres, et d’un acte poétique incarné, jour après jour, durant plusieurs mois, dans un site montagneux, au contact des forces muettes du vivant. Muettes, bien que parlantes à qui se laisse traverser de leurs murmures sauvages. Cela demande un décentrement du regard et de l’écoute : « Prêter une intense écoute aux présences non humaines : celle des hordes nuageuses au-dessus des terres, celles des pierres, des sources et des forêts massées au sol, que cingle inépuisablement l’averse des lumières. »
Pour laisser passer ces hordes nuageuses, ces averses lumineuses, ces nuits anciennes entre les lignes, Pierre Cendors joue avec l’étendue blanche des pages, qui devient une image de l’immensité silencieuse. Comme une lueur dans ces espaces vierges, un dialogue entre deux voix intérieures se noue. L’une murmure par exemple : « Une montagne blanchie par la nouvelle neige. L’ombre d’un nuage glissant sur un versant. Des vents errants s’entrecroisant sur la lande embrumée. » Et l’autre répond : « Seul nous parle ce qui est sans parole. »
Pour saisir quelque chose des paroles sans paroles soufflées dans les espaces sauvages, la prose poétique de Pierre Cendors suit une ligne tremblante, errante, spiralée.
Elle nous enseigne à ne rien attendre, ne rien prévoir, à tourbillonner, s’élever avec chaque instant libéré des logiques temporelles ordinaires : « Nous n’irons plus loin sans d’abord nous arrêter au pied des cimes de cet instant. Laissons l’instant, tout instant, se hausser à son altitude d’astre dans l’immobilité respirante d’une présence. »


Pierre Cendors, L’Horizon d’un instant, peintures de Claire Chesnier, L’Atelier contemporain, 2023, 96 p., 20€, pp. 15, 17, 18, 46 et 47

Poesibao recommande un article paru dans le blog de Patrick Corneau, « Le Lorgnon mélancolique » et qui traite de ce livre.

Franco-irlandais, né en 1968, Pierre Cendors s’attache, de livre en livre, à capter un langage poétique, plus ancien et plus vivifiant que la parole, un langage qui n’est pas seulement humain, mais ouvert à la vie élémentaire, au terrestre, à l’écoute d’une primordialité ardente, qui est à l’homme ce que les espaces sauvages sont à l’animal. Il vit en Tchéquie. Il est l’auteur de romans (derniers titres parus : L’Homme-nuit, Quidam, 2023 ; L’Énigmaire, Quidam, 2021 ; Silens Moon, Le Tripode, 2019 ; Vie posthume d’Edward Markham, Le Tripode, 2018 ; Minuit en mon silence, Le Tripode, 2017), de récits (L’Invisible dehors, Isolato, 2015), de nouvelles (Exil Exit, La Part commune, 2014) et de poèmes (Les Hauts Bois, Isolato, 2013).