René Noël introduit les lecteurs à la poésie de Philippe Di Meo par son analyse et plusieurs extraits du livre.
Philippe Di Meo, Enjambées, Poésie, Postface de Christian Travaux, Bruno Guattari Éditeur, 2024, 107 pages, 12€
Pollens
L’exposition de la langue mobilise toutes les perceptions et les dépôts en soi des timbres, des rythmes élocutoires. Les mots et les sons liés indéfectiblement aux saisons et aux lieux qu’ils contribuent à bâtir. Ainsi, des poèmes de Philippe Di Meo, où il en va toujours de la langue et de ses destinations que parlent Fernando Soares et les Héllènes de notre temps, patients et non désabusés, leurs regards au loin traduisent une ironie bienveillante. Les rythmes et les cadences des vers ne sont-ils pas les météos et les terrasses, les expositions des cultures et des locuteurs dont les interdépendances dérogent aux lois confusionnelles qui ne conçoivent la langue commune que réduite à quelques stéréotypes volatiles et éphémères ?
Périmètres, surfaces, épaisseurs, sédimentaires, les poèmes de la première section du livre de poésie de Philippe Di Meo établissent les mesures, les physiologies d’une vision du monde spécifique, Étoiles conniventes cabrées blanches (p. 9) en écho aux étoiles humaines, moderne, contemporaine, née de l’espace-temps, un état, une photographie du corps cosmique traversier, qui supprime les schizes antérieures, les classements et typologies opposant l’espace et le temps. Ceux de la seconde partie peignent les trajectoires de faits et de matières en mouvements, incarnant le devenir modifiant le champ des mémoires circulant entre les unités de poids et de mesures adaptés de cette modernité.
Le livre de Di Meo sous-titré Poésie indique ainsi une méthode, un mode opératoire nouveaux qui ordonnent des poèmes publiés auparavant en revue, premières publications aussi bien que bassin, bain de décantation du langage, L’algue mirumé / qui pousse sur les hauts-fonds / du vaste océan / après trois ans seulement / les gens de mer la récoltent (Le dit de Heichû, p. 29). ” Toutes saisons confondues, / le temps n’existe plus. ” (p. 44), est-ce si étrange / de ne jamais vouloir s’aveugler ?, Au-delà des anecdotes (p. 30), catgut, les trois époques du temps, illusion, absorbé par le poème, devient ce qu’il n’était pas.
Le poète sait que les mémoires de la nuit portées au jour contiennent leurs métamorphoses, soit l’actualité des faits d’hier, la lumière nocturne et l’éclat solaire altérant la nature des tropes et des matières qui les animent. Établi, table opératoire propice à la parole, le champ d’exploration défini, Philippe Di Meo base l’écrit sur l’échange, la conversation, l’interpellation qui irradie, interdit, étonne, surprend, pigmente l’infini, l’alimente, lui donne de la matière, du savoir-vivre et des histoires, dans la proximité d‘Idiome de Zanzotto où se parlent, sans diminutions d’exigences mutuelles, les niveaux de langue et d’expérience de soi de personne à personne, à hauteur d’humanité. Les lettres, les mots et leurs champs d’action libérés de leurs lignes d’eau hypnotiques deviennent signes des vents, pollens.
pseudo-hasards en longue suite / quoi de plus naturel. (p. 65). Le hasard, le silence, le propre et le commun ne sont pas stockés, confinés d’un seul tenant, amassés à l’extérieur, aux portes du poème, attendant de payer l’octroi pour occuper, envahir la page. Les hasards sont pluriels et imprévisibles, l’inconscient une fois toutes les combinaisons des locutions saisies par l’oreille et l’ouïe triées par les fils des mémoires physiques et spéculatives, affecté par ces modes opératoires délibérés, peut dater et signer alors le premier mot. La lucidité, la logique exacerbée, radicalisée, tanin des générations, augmente, le hasard parle.
Le vers, la poésie de Di Meo ne font donc pas nécessairement du premier mot l’entrée en matière, le premier phonème, préséance sûre à tout coup garantissant un récit conforme à un modèle couru. Le premier trope, trope ultime qui aurait tout dit déjà quand les péripéties, les aléas, les contradictions, les rappels, piaffent, serrés dans le non-énoncé et le renoncement contraints et forcés d’attendre des jours meilleurs pour se voir devenir matières sonores, à même d’explorer eux aussi la matière espace-temps. Bref : sédiments, surrections / enfouissements et plissements à foison. Note de synthèse : / il était une fois, / non, bêtise, que dis-je ? / ERRATA, corrige : / il était deux fois [2 x foi] : / une scène baignée de violence lumineuse / Pour nous éloigner un peu + du / un peu, un plus / un peu du plus / + + + + + / Oui, encore une fois / Ça remue / Ça éternue (p. 45). Signes et jeux de caractères, typographies actives dans le corps des poèmes, participent de la pâte mot – Jacques Sivan, Christophe Tarkos – de Philippe Di Meo que Christian Travaux nomme et analyse dans sa postface.
La linéarité, qu’elle soit lacunaire, imitée des doxographies, les ellipses attendues, supplétives d’un silence devenu barbare, banni, odieux, honni, scandaleux dans nos sociétés de consommation express, ou entière, n’épuise-t-elle pas la liberté de mentir ? mens et songes libérés par une obstination figée dans ses dénis. Débuter naît de cette liberté où toute formes d’associations sont à venir. Soit les aurores d’un modus vivendi, d’une civilisation nouvelle amorcée que la poésie de Philippe Di Meo signale et salue.
René Noël
Particules à accueillir
récoltes
autrement dit accueillir des semaisons
graines aux terreaux déjà enfouies
ou pulvérulences et particules
venteuses menteuses déjà reparties
le travail est malhabile abeille
la brise et la terre en floraisons complices
imperceptibles inflorescences
de hauteur distance inconstance
des oscillations
beaucoup plus tard l’évidence
génération lente
très intense
(p. 21)
*
Au bout d’un moment
au bout d’un moment incalculable
comme je me bouche les oreilles
chaque fois que quelque chose est dit
je ris et me récrie dans mon sommeil
“il remue sa soupe”
“le crime est signé”
criailleries
autant de cavités par où s’échapper
cette histoire nous l’avons déjà dégoisée
à cet instant je le discerne
irrités par une saison ou par une autre
sans autre point commun
aux entractes
les uns applaudissent à l’unisson
les autres marchent en rond
(p. 48)