Patrick Quillier, “D’une seule vague (Chants des chants, 1)”, extraits.


Patrick Quillier publie ce qui semble le début d’une immense épopée, D’une seule vague, aux éditions La Rumeur libre. Extraits.


 

Patrick Quillier, D’une seule vague, (Chants des chants, 1), Éditions la Rumeur libre, 2023, 496 p., 25€.


NDLR : les différents chants étant parfois longs de plusieurs pages, Poesibao a choisi ici de donner l’incipit de certains d’entre eux, pour bien rendre compte de la diversité du livre.

                  Les Amazones sont dans votre quartier

                  Les amazones ne sont pas qu’un peuple
                  imaginaire elles sont dans l’histoire
                  une horde magnifique et solaire
                  qui met une auréole de beauté
                  de bonté d’honneur à l’humanité
                  les antigones sont dans vos quartiers

                                        jeanne d’arc     alexandra david-néel
                                        isabelle heberhardt  les suffragettes
                                        esclarmonde de foix  sainte thérèse
                                        d’avila  inès de la cruz    olympe
                                        de gouges   dolorès ibarruri


audre lorde guerrière et féministe
professeure survivant au cancer
pendant quatorze années de haute lutte
lesbienne et mère
                        poétesse noire
née à harlem
                        n’a de cesse de dire
« femmes passez du silence aux paroles
et aux actes
                        la poésie n’est pas
un luxe elle est une nécessité
vitale
            avant sa mort en mille neuf
cent quatre vingt douze elle prend le nom
lors d’une cérémonie de baptême
africain
            de gamba adisa
« la combattante qui se fait comprendre »
(…) (p. 48)

/



                  Marche funèbre : Benjamin Fondane

                                                                     Ici harmonie recueillie avec
                                                   Jürgen Trabant pour Henri Meschonnic

                  « Créer toujours jusqu’à la fin du monde. »

Ce mot d’ordre, écume fertile,
sur la vague qu’ici nous avons prise,
il est de Benjamin Fondane, alias
Benjamin Fondoianu, né Wechsler
en 1898,
à Iasi, en Roumanie

                                                             « Si j’étais né à
                                    à Bethléem, dit-il, du temps d’Hérode
                                    j’aurais certainement été du nombres
                                    des enfants massacrés ! »

                               Il a été
poète, philosophe, dramaturge
essayiste, cinéaste, et roumain
français, argentin, en « Ulysse juif »
comme il avait pensé se définir

                                    Il a choisi, avec Léon Chestov,                 
                                    qu’on peut considérer comme son maître,
                                    « Job contre Hegel », persuadé que
                                    « la pensée existentielle commence
                                    là où finit la pensée rationnelle. »

Migrant par excellente, il ne recherche
nulle Ithaque dans la géographie
de l’illusion, mais toujours veut faire en
sorte que la rencontre des humains
ne se produise pas en vain, et ce,
dans chaque pays. Il se veut témoin
du « besoin de réalité » qui meut
le poète, car « le poète affirme,
la poésie est une affirmation. »
(…) (p. 95)

/

                  Jean Sibelius et la saga du monde

                                                      En remerciant Eero Tarsti
                                                      de marier existence et sémiotique

Il fait chanter le Kalevala
dans l’entrelacs ardent des harmonies.
Tous les timbres de son orchestre ont dit
l’effervescence et l’orfèvrerie du
grand nord dans tous les bouleversements
d’une histoire dévastatrice dont
il a voulu sortir en façonnant
des légendes de sons venant vibrer
dans le secret du cœur fourbu des hommes.

L’offertoire majestueux du vol
sans fin ni répit de Luonnotar
se déploie dans les voûtes suraiguës
d’un cosmos vocal engendrant le monde
où nous vivons et survivons tant bien
que mal, où nous mourrons et remourons
par-delà le bien et le mal.

                                          La mère
de Kullervo tremble pour son fils en
danger. Elle lui dit : « Fais-toi broussaille
sur la crête, fais-toi bouleau dans la
roselière, fais-toi récif dessous
la mer. » Et Sibelius de frissonner
dans toutes les irisations de son
orchestre. Et Kullervo d’être un héros
caché dans tous les friselis de la
matière.
(…)
                                         Aussi
y-a-t-il là bel et bien symphonie,
solistes, chœur, orchestre allant de pair,
bien qu’à chacun soit assigné un rôle
singulier : aux solistes le poème
qu’ils vont chantant dans le jaillissement
toujours recommencé de la légende
Kullervo tremble de solitude
sous la constellation ambivalente
d’une gémellité non désirée ;
au chœur la chronique, et sa rhétorique,
et tout son lot de totems et tabous ;
à l’orchestre la prise de distance
permettant de mêler la projection
vers ce qui vient, à la méditation
sur ce qui n’en finit jamais de vivre,
étant advenu mais non révolu,
étant dénoué mais non résolu.
(…) (pp. 136 et 139)

Patrick Quillier, D’une seule vague, (Chants des chants, 1), Éditions la Rumeur libre, 2023, 496 p., 25€.



On peut lire, en ligne, un texte très intéressant où Patrick Quillier dessine son autobiographie intellectuelle de poète, traducteur, et musicien. « Dispositions et dispositifs acroamatiques ».
« Les formations qu’on reçoit et qu’on se donne trouvent des dispositions plus ou moins bien vouées à leur fournir des chances de développement durable et profond. Ces dispositions préalables, leur première tâche est d’en faire, dans tous les cas et du mieux possible, des dispositions plus assurées, plus conscientes d’elles-mêmes, plus concertées. C’est à ces deux sens (d’abord : reliefs du paysage émotionnel et mental ; ensuite : relevés de ces reliefs),qu’on entendra le premier mot de ce livre : avoir des dispositions, prendre ses dispositions.
Pour que les formations qu’on reçoit et qu’on se donne aillent le plus loin possible sur cette voie, encore faut-il aussi se conformer à une autre acception du même terme, en sachant se mettre à la disposition de leurs enseignements. Autrement dit : en se rendant disponible, émotionnellement, mentalement, et de tout son corps pourrait-on dire, aux rencontres de tous ordres occasionnées par le jeu des dispositions qui s’accomplit dans et par ces formations.
C’est ainsi que peuvent se tracer les lignes de fuite, dans une opération toujours recommencée. »
Précision : « est acroamatique ce qui relève d’une attention auditive de tous les instants, dans tous les domaines, de toutes les manières. »