Isabelle Baladine Howald qui connaît très bien l’œuvre de Pascal Quignard ouvre les pages de son dernier livre, Trésor caché
« L’âme de l’âme, c’est le corps »
Je ne vais pas raconter, l’histoire est simple comme toujours. Le chat de Louise meurt, Louise s’en va. Ce chat lui ayant laissé un trésor enfoui au jardin, elle voyage en Italie, vit un peu à Ischia avec l’homme aux trois prénoms (Luigi, Ludwig, Ludovic), passe par Paris, revient à Sens, voit son amour mourir – les sentiments qui s’éteignent de part et d’autre et la maladie – et revient près de la tombe de son chat vieillir au bord de l’eau.
Sa communion avec la nature est extraordinaire, de même avec la peau, avec les parfums, avec les goûts, avec le toucher…
Je pensais ce matin que les femmes de Philippe Sollers sont vives, un peu rondes, socialement à l’aise, celles de Pierre Michon, blanches et rousses, mythologiques, celles de Pascal Quignard silencieuses, longilignes, solitaires. Pour autant elles n’en sont pas moins vibrantes et vivantes, pas moins libres. On ne sait pas trop ce qu’elles font mais elles se débrouillent, celles de Villa Amalia, des Solidarités mystérieuses, de Trésor caché. Elles n’ont rien à défendre, à prouver, à revendiquer, elles vivent intensément par leur corps, qui est la seule chose qu’on puisse peut-être donner, bien qu’on ne puisse jamais recevoir le corps de l’autre de la même manière qu’on donne le sien. « L’âme de l’âme c’est le corps », comme celui du violon recèle la petite pièce maîtresse nommée âme.
Dans Trésor caché le corps est le roi, ou peut-être le corps est celui de la reine, une femme qui aime nager, qui aime la pluie, l’orage, la chaleur, les éléments, la météorologie, la Nature.
Une femme qui aime être seule, qui ressemble comme une sœur à Ann Hidden dans Villa Amalia.
Pascal Quignard fait depuis toujours de la différence sexuelle son champ d’exploration, d’incompréhension, de fascination. Pour autant quand je le lis, je me dis qu’il est l’écrivain qui s’en approche le mieux, parce qu’il ne cherche pas à la maîtriser, ni même forcément à la comprendre. Il regarde, observe, il s’étonne. Les corps si différents et si différents entre eux le stupéfient même. Il écoute les femmes « rire comme des folles » sur le sentier du soir au retour de la mer dans Les heures heureuses. Il n’est pas comme elles, il le sait. Mais il est enchanté. Et ni les uns ni les autres n’essaient au fond de percer ce mystère si attirant, même dans l’acte de l’amour.
Louise est certainement, à sa façon, un chat.
Pascal Quignard est certainement, à sa façon, un chat. Immobile au bord de l’eau, aux aguets, la pupille fixe. Il est solitaire et il aime les solitaires. Sa tendresse avouée me semble plus grande qu’autrefois.
Les chats sont le cœur du livre, un cœur soyeux et chaud. Sur des pages et des pages, les chats s’ébattent, se promènent, fixent un point invisible de nous. Pages de toute beauté, éblouissantes, fluides, profondes et douces. Un poème, je crois. Ce qui demeure longtemps après la lecture, c’est ce rythme. Cette beauté et cette force des liens avec ce que l’on aime, humain, animal, nature. Tout est absolument vibrant, tout est vivant, palpitant, et aussi originaire, puissant, violent, tout est fragile et mortel, tout est éternel.
Il parle toujours du vin blanc glacé dans ses livres, ça me fait sourire.
Il écrit merveilleusement bien, et sur l’essentiel.
Isabelle Baladine Howald
Pascal Quignard, Trésor caché, Albin Michel, collection littéraire dirigée par Martine Saada, 2024, 293 p., 21,90€