“Mystère et rayonnement de la voix de Kathleen Ferrier dans la poésie d’Yves Bonnefoy”, par Michèle Finck


Michèle Finck a proposé à Poesibao le texte d’une intervention qu’elle a faite lors d’une journée Yves Bonnefoy, à Tours


Dans le cadre du centième anniversaire d’Yves Bonnefoy (né le 24 juin 1923), une journée «Poésie et musique dans l’oeuvre d’Yves Bonnefoy » a été organisée par Thierry Machuel à Tours samedi dernier, 24 juin 2023. Thierry Machuel a invité Michèle Finck à écrire un texte pour cet anniversaire à Tours. Elle lui a donné le titre « Mystère et rayonnement de la voix de Kathleen Ferrier dans la poésie d’Yves Bonnefoy » et l’a dédié à Thierry Machuel et à son oeuvre « A l’humaine poésie » (où il met en musique, entre autres, le poème de Bonnefoy « A la voix de Kathleen Ferrier ».)

 

Mystère et rayonnement de la voix de Kathleen Ferrier dans la poésie d’Yves Bonnefoy
                                                 

A Thierry Machuel, à son œuvre A l’Humaine poésie



Ces pages se voudraient une brève méditation sur la voix dans l’œuvre poétique d’Yves Bonnefoy et plus particulièrement sur le mystère rayonnant du contralto de Kathleen Ferrier dans cette œuvre. Si Bonnefoy porte son verbe au plus près de la voix, c’est que la voix est plus proche de l’immédiat que l’écriture. Grâce à la voix l’écart entre le mot et la chose, entre la médiation verbale et l’immédiateté du monde, se trouve comme effacé. Il y a plus. Par la voix, la parole a directement rapport au corps. Comme l’écrit Roland Barthes, « le grain, c’est le corps dans la voix qui chante. » Si la voix requiert le poète, c’est aussi parce qu’elle a trait à l’origine, au commencement. Surtout, la voix est la pierre angulaire de la poésie d’Yves Bonnefoy qui se veut une poésie du « sens ». Guy Rosolato résume cet enjeu en une formule forte : « La voix est de chair et de sens ». Proche de l’immédiat, inscrite dans le corps, dispensatrice de l’origine, de l’ouverture et du « sens », la voix est en avant de la poésie : le poète veut se faire voix. A cet égard le poème « A la voix de Kathleen Ferrier » de Hier régnant désert est exemplaire. Par-delà l’hommage à la voix de la cantatrice disparue en 1953, ce poème révèle l’aspiration profonde de toute poésie à sortir de l’écriture, à devenir voix. Ce poème suggère avant tout l’urgence du désir de la voix qui habite la poésie et en particulier celle d’Yves Bonnefoy.

Mais pourquoi Yves Bonnefoy a-t-il choisi, entre toutes les voix, la voix de femme la plus grave, le contralto ? Il faudrait écrire une histoire du contralto dans ses rapports avec la poésie. Frappante est en effet la fascination qu’exerce le contralto, plus que toute autre tessiture vocale, sur les poètes. Le contralto peut s’écouter comme la muse de la poésie moderne. C’est ainsi que déjà Nerval célèbre, dans Les Filles du feu, « ce ‘parler’ si charmant des pays de brouillard, qui donne aux plus jeunes filles des intonations de contralto ». De même Valéry révèle que sa poésie n’a pas de plus haute ambition que celle d’être à la mesure d’une voix de contralto : « A un certain âge tendre, j’ai peut-être entendu une voix, un contralto profondément émouvant…Ce chant me dut mettre dans un état dont nul objet ne m’avait donné l’idée (…) Et je l’ai pris sans le savoir pour mesure des états et j’ai tendu, toute ma vie, à faire, chercher, penser ce qui eût pu directement restituer en moi, nécessiter de moi -l’état correspondant à ce chant de hasard ». Le contralto n’est-il pas ce qu’on pourrait appeler, d’un beau vocable de François Lallier, « la voix antérieure » de la poésie moderne et de celle d’Yves Bonnefoy ?

Parmi les voix de contralto, celle de Kathleen Ferrier connaît une fortune littéraire exceptionnelle. Bruno Walter souligne la force émotionnelle de cette voix, qui atteint son maximum d’intensité dans Le Chant de la terre de Mahler, dont la cantatrice a été l’interprète privilégiée dès le premier festival d’Édimbourg en 1947 : « Ma rencontre avec Kathleen Ferrier fut décisive. Son interprétation du Chant de la terre (…) demeure l’une des plus profondes et des plus heureuses expériences de ma vie d’artiste. Lorsque je l’entendis pour la première fois, le timbre prenant de sa voix m’émut, comme aucun son ou presque ne m’avait ému jusque-là (…) Il y avait chez cette femme qui semblait si limpide, si gaie, si simple, si directe, quelque chose de mystérieux. Son art baignait dans ce mystère (…) Peut-être sa mort prématurée relève-t-elle du mystère qui planait sur sa vie. » Même si d’autres poètes, de Philippe Jaccottet à Christian Hubin, ont écrit brièvement sur la voix de Kathleen Ferrier, c’est Yves Bonnefoy qui, dans son poème « A la voix de Kathleen Ferrier » de Hier régnant désert, écrit l’hommage le plus intense à la cantatrice. Cette page, inspirée à la fois par « L’Adieu » du Chant de la terre de Mahler et par le poème « Chant de la terre » de Jouve, a renouvelé en profondeur le dialogue entre poésie et musique.

Avant de citer le poème de Bonnefoy, je voudrais citer celui de Pierre Jean Jouve qui a initié Yves Bonnefoy à la musique, celle de Mozart mais aussi celle de Mahler interprétée par Kathleen Ferrier qu’il célèbre dans Moires. « C’est un fait que, sans la rencontre de Jouve, je n’aurais jamais consacré un poème à Kathleen Ferrier », écrit Bonnefoy dans L’Inachevable. Voici le poème de Jouve :

                                         Chant de la terre

                        Ce contrepoint des douleurs et des chairs
                        Des timbres des soubassements noirceur profonde
                        Des féroces et lourds chevauchements des cors
                        Aux trombones -la voix alors voix déchirante !

                        Ce contrepoint du malheur de la terre
                        Des douleurs isolées des exaltations
                        De la beauté commune et de l’ivresse mère.
                        J’aurais voulu l’avoir en ma création ;

                        J’aurais voulu…mais l’éternité même
                        Meurt dans l’opium divin de douleur elle-même.


Et voici le poème de Bonnefoy :


                                      A la voix de Kathleen Ferrier

                        Toute douceur toute ironie se rassemblaient
                        Pour un adieu de cristal et de brume.
                        Les coups profonds du fer faisaient presque silence.
                        La lumière du glaive s’était voilée.

                        Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
                        Qui hésite aux lointains du chant qui s’est perdu
                        Comme si au-delà de toute forme pure
                        Tremblât un autre chant et le seul absolu.

                        O lumière et néant de la lumière, ô larmes
                        Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir,
                        O cygne, lieu réel dans l’irréelle eau sombre,
                        O source, quand ce fut profondément le soir.

                        Il semble que tu connaisses les deux rives,
                        L’extrême joie et l’extrême douleur.
                        Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
                        Il semble que tu puises de l’éternel.
                       
« C’est donc au total une énigme du sphinx que pose la Musique », écrit Jouve dans En Miroir. Quelle est « l’énigme du sphinx » que pose ici à Bonnefoy L’Adieu du Chant de la terre de Mahler chanté par Kathleen Ferrier ? Pour Yves Bonnefoy, avec la voix de Kathleen Ferrier, un « absolu » s’est « perdu », comme le suggère la mise à la rime des deux mots « absolu » et « perdu » dans la troisième strophe. Par une osmose rare, miraculeuse même, entre poésie et musique, l’art vocal de Kathleen Ferrier pose les bases de l’art poétique de Bonnefoy.

Il y va d’abord d’un art vocal et poétique fondé sur l’alliance du « cristal » et de la « brume ».  Le « cristal » est pour Bonnefoy un des emblèmes de la poétique de Mallarmé, comme le suggère une page du Nuage rouge : « Lui, pourtant, Mallarmé, ce n’est pas l’instant qu’il voulait, qui dépense d’un coup la forme, mais l’intemporel des cristaux introublés ». Ce que désigne l’image du « cristal », c’est une poétique fondée sur la primauté de la pureté formelle, l’achèvement délicat du vers, le culte de la perfection. L’image de la « brume » vient altérer cette poétique et suggérer la qualité distinctive du timbre du contralto. On découvre la même image de la « brume » et le même couplage des mots « voix » et « voilée » pour désigner la tessiture du contralto dans Les filles du feu de Nerval et dans le poème dédié à Kathleen Ferrier. Nerval écrit : « D’une voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celle des filles de ce pays brumeux, elle chanta ». Et Bonnefoy : « La lumière du glaive s’était voilée. / Je célèbre la voix mêlée de couleur grise ». Si pour le Kandinsky de Du spirituel en art le contralto est associé à la couleur orange, pour Bonnefoy le contralto de Kathleen Ferrier est indissociable de la couleur grise qui traverse tout le livre Hier régnant désert. Pour retrouver le grain de la voix de contralto, la langue de Bonnefoy découvre aussi le clair-obscur des sonorités nasales. Au point de rencontre de du « cristal » et de la « brume », la voix de Kathleen Ferrier et la voix poétique de Bonnefoy allient la forme et le trouble dans la forme, la perfection et la faille.

Pour Yves Bonnefoy, la voix de Kathleen Ferrier est aussi, comme il me l’a expliqué dans un entretien très ancien (mars 1983), une voix de femme mûre qui a intériorisé la durée. Cette intériorisation coïncide avec le consentement de la conscience poétique au temps, qui est l’enjeu de Hier régnant désert. A cet égard, le contralto de la cantatrice est le lieu pour le poète d’une initiation à la dimension temporelle. Si l’un des enjeux de Hier régnant désert est d’arracher la poésie au temps abstrait, spasmodique, insoumis à la dimension de durée du recueil Douve, la tessiture de Kathleen Ferrier mais aussi la musique de Mahler apprennent au poète l’art du temps, comme le souligne Adorno à propos du compositeur :  La symphonie de Mahler « savoure le temps, s’abandonne à lui (…) Elle voit dans la durée elle-même l’image du sens ». Ces mots d’Adorno, consacrés à Mahler, pourraient avoir été écrits pour Hier régnant désert.

Ce qu’accomplit aussi la voix de Kathleen Ferrier, c’est le dépassement des antinomies. Dans la troisième strophe du poème, chaque vers est construit sur l’alliance de deux mots antithétiques miraculeusement réconciliés. La voix de Kathleen Ferrier laisse advenir, dans les contraires mêmes, une identité par le fond : « O lumière et néant de la lumière, ô larmes / Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir, / O cygne, lieu réel dans l’irréelle eau sombre, / O source, quand ce fut profondément le soir ! ». La voix de Kathleen Ferrier transmue en dialogue le dualisme gnostique qui sous-tend la séquence inaugurale de Hier régnant désert. Grâce à cette voix, l’être fait l’apprentissage de ce que Bonnefoy nomme, dans Le Nuage rouge, « la non-dualité des valeurs ». La voix de la cantatrice initie le poète à la coïncidence des contraires. La voix de Kathleen Ferrier est la voix de l’Un, comme le suggère aussi Bruno Walter : « Son secret c’était l’unité ». Dans la matérialité phonique du poème de Bonnefoy s’accomplit l’unité créée par la voix de la cantatrice. Le mot aspire ici à égaler le pouvoir du son chanté. Par l’unité sonore des vers, Bonnefoy revit l’union des contraires dans la voix. Les vocables « douceur », « douleur » et « couleur », « voix » et « voilée », « rassemblaient » et « semble » effacent leur frontière, dans une sorte d’unisson des signifiants.

C’est un des mystères de cette rencontre entre le poète et la cantatrice, que le nom « Ferrier » porte justement en lui la substance ferreuse qui définit la texture de Hier régnant désert, ce recueil du « fer ». Le nom propre « Ferrier » renvoie, dans le soubassement de la langue de Hier régnant désert, au « fer » de la charrue agraire et au « fer » de l’épée de Galaad. Le nom « Ferrier » s’inscrit de lui-même dans le tissu thématique et phonique du recueil. Selon la logique de ce que Martine Broda nomme « l’amour du nom », dans son livre du même titre, le nom « Ferrier » peut se lire comme l’un des noyaux générateurs du poème dédié à la cantatrice.
La voix de Kathleen Ferrier est aussi pour Bonnefoy une expérience musicale du « tremblement » : « Comme si au-delà de toute forme pure / Tremblât une autre voix et le seul absolu ». Pour Bonnefoy, le « vrai lieu » du chant, c’est le « tremblement » de la voix : cet acte par lequel la voix sort d’elle-même et ressuscite en sa ruine. Le « tremblement » est la cellule séminale de la voix de Kathleen Ferrier mais aussi de la poésie de Bonnefoy, comme le suggère également le poème « Veneranda » de Hier régnant désert : « Vois pourtant, il suffit qu’une voix basse tremble / Pour que l’aube ruisselle aux vitres reparues ». Contrairement à Valéry, pour Bonnefoy, la voix est poétique en ce qu’elle est facteur de déséquilibre, tressaillement de l’idée, vacillement du sol mental. Le poème de Bonnefoy est traversé, dans son soubassement sonore et rythmique le plus profond, par le « tremblement » de la voix de Kathleen Ferrier. C’est ce « tremblement » qu’on entend dans la déstabilisation du sol verbal par la juxtaposition de mots courts et de mots longs (« ô source, quand ce fut profondément le soir ») mais aussi dans l’alternance des vides sonores (le « e » muet » si aimé par le poète) et des pleins, de même que dans le décalage de la syntaxe et du mètre (« O larmes / Souriantes »). Ce « tremblement » est surtout suggéré par l’emploi dans le vers final de « l’alexandrin boiteux » de onze syllabes (« Il semble que tu puises de l’éternel »). A cet égard il y a aussi une remarquable coïncidence, dans ce vers terminal, entre le travail de Mahler sur le « tremblement » du « ewig » final et le travail de Bonnefoy sur le « tremblement » du mot final « éternel ». Là encore l’analyse du L’adieu du Chant de la terre de Mahler par Adorno est révélatrice : « Nulle part peut-être la musique de Mahler ne pousse plus loin sa propre dissociation (…) et fait apparaître des béances ». Adorno insiste surtout sur le « balbutiant ‘Ewig’ (éternellement) de la fin, plusieurs fois réitéré, comme si la composition avait abdiqué tout pouvoir ». Par le travail de « l’alexandrin boiteux » terminal de 11 syllabes, qui inscrit le manque dans le vers ultime, Bonnefoy fait apparaître les mêmes « béances », le même tarissement de la forme. Aussi Bonnefoy s’approche-t-il le plus près possible du Chant de la terre et de la voix de Kathleen Ferrier. Le poème dédié à la cantatrice s’écoute comme une mise en poème de la voix, comme un Lied dans lequel ce ne serait pas la voix qui chanterait le poème, mais le poème la voix.

Le temps me manque aujourd’hui pour mener ici une comparaison substantielle entre le poème de Bonnefoy et celui de Jouve. Je renvoie à mon livre Poésie moderne et musique, ‘Vorrei e non vorrei’/ Essai de poétique du son (2004). Tout au plus puis-je mettre en avant un bref instant, par-delà les affinités, quelques différences du poème de Jouve. Si Bonnefoy intitule son poème « A la voix de Kathleen Ferrier », mettant ainsi l’accent sur la figure féminine de la cantatrice, Jouve donne à son poème le titre « Chant de la terre », mettant en relief la figure masculine de Mahler, dont le nom propre se dissémine d’ailleurs dans le cinquième vers à travers l’anagramme « Mahler » / « malheur » : « Ce contrepoint du malheur de la terre ». Si les deux poètes se rejoignent par une commune ferveur inspirée par les notes terminales du Chant de la terre de Mahler (« ewig, ewig », « éternellement, éternellement »), pour Jouve le dialogue avec Kathleen Ferrier est moins important que celui avec Mahler. L’expérience principale de Jouve reste avant tout celle d’une rivalité entre sa poésie et la musique mahlérienne. C’est ce que suggèrent les deuxième et troisième strophe de son poème, dans lesquelles Jouve jalouse l’art du « contrepoint » mahlérien, qui n’est pas possible en poésie : «Ce contrepoint du malheur de la terre /…/ J’aurais voulu l’avoir en ma création ; // J’aurais voulu… mais l’éternité même ». Les points de suspension après la répétition de la formule « J’aurais voulu … » soulignent encore cette expérience d’une rivalité de Jouve avec la musique, qui offre un contraste frappant avec l’expérience de l’unité vécue par Bonnefoy à l’écoute de Kathleen Ferrier. Seule une filiation Baudelaire-Mahler-Jouve, que je ne peux détailler ici, permettra à Jouve un dépassement du rapport de rivalité, selon une formule du Don Juan jouvien : « la division déchirante (…) puis la divine unité ».

Reste à souligner le rayonnement de la voix de Kathleen Ferrier dans l’ensemble de l’œuvre d’Yves Bonnefoy, comme si le poète y revenait tel à un diapason fondamental de son être. Une preuve parmi d’autres de ce rayonnement est le retour de la voix de contralto dans le « récit en rêve » « Sur les ailes de la musique » (1987), bâti sur une surimpression entre la voix de contralto et la figure maternelle. Il faut citer surtout les retrouvailles d’Yves Bonnefoy avec le Chant de la terre de Mahler et la voix de Kathleen Ferrier dans le poème « Mahler, le chant de la terre » de La longue chaine de l’ancre (2008) : « Elle sort, mais la nuit n’est pas tombée. / Ou bien c’est que la lune emplit le ciel, / Elle va, mais aussi elle se dissipe, / Plus rien de son visage, rien que son chant ». La voix de Kathleen Ferrier et le Chant de la terre reviennent encore dans le poème « Il descend de cheval » de L’Heure présente (2011), dont Bonnefoy m’a offert, recopiée à la main, une première version intitulée « Imitation d’un poème (de Wang Wei, choisi par Mahler pour l’Adieu).»

Pour comprendre plus en profondeur encore le dialogue entre Bonnefoy, Mahler et Kathleen Ferrier il faut se tourner pour finir vers le texte majeur « Poésie, peinture, musique » du catalogue de l’exposition de Vevey (1997). Dans ces pages Bonnefoy revient une fois de plus au Chant de la terre de Mahler et en particulier au « ewig, ewig » (« éternellement, éternellement ») interprété par Kathleen Ferrier, pour les situer dans le paysage de la modernité poétique et leur donner une valeur de repère crucial dans la lutte qui est la sienne pour une poésie du « sens ». Ce texte donne à saisir le « ewig, ewig » mahlérien chanté par Kathleen Ferrier comme le pôle opposé, dans la modernité, du « nevermore » (« jamais plus ») du « Corbeau » d’Edgar Poe : « Une œuvre existe bien, qui a connu la poétique de Poe, et s’y oppose même d’une façon qu’on peut dire consciente, puisque l’auteur du ‘Corbeau’ a résumé sa pensée dans le ‘nevermore’ tandis qu’elle, c’est le ‘ewig, ewig’, c’est le ‘for ever and ever’ d’une confiance dans l’être. Je pense évidemment au Chant de la terre de Mahler ».

Le poème « A la voix de Kathleen Ferrier » et sa mise en musique par Thierry Machuel dans A l’humaine poésie sont si admirables qu’on ne peut, après leur audition, que murmurer l’interrogation de Georges Steiner dans Réelles présences : « Sans les vérités de la musique, quel serait notre déficit à la tombée du jour ? »

Michèle Finck

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