Michèle Métail propose dans ce livre une galerie de 500 femmes en contrepoint des représentations des 500 disciples de Bouddha.
Le lecteur a le sentiment ici d’avancer dans une foule étrangère et en même temps familière, celle de 500 femmes que Michèle Métail a rencontrées dans ses voyages en Extrême-Orient et qu’elle tient à dresser, fièrement, face aux représentations si nombreuses des 500 arhats (disciples) de Bouddha.
On a l’impression dans ce livre de s’ouvrir un chemin dans un taillis serré de silhouettes. Ces dernières ne sont pas sans rappeler ces jeux d’autrefois, grandes planches de papier cartonné où se trouvaient des figurines en sous-vêtement, homme ou femme, enfant, voire animaux, qu’il s’agissait d’habiller avec les vêtements à découper sur la même planche.
C’est que la disposition typographique invite à cette analogie ! Quatre silhouettes sur chaque double page, tout en hauteur, texte centré, avec un seul mot en petites capitales par ligne.
C’est à un formidable voyage à la rencontre des ces 500 inconnues contemporaines* que Michèle Métail, grande spécialiste de dispositifs et autres inventions textuelles, invite ici. C’est aussi une sorte d’archivage poétique d’une époque, avec toutes ces femmes si bien typées dans leurs vêtements, leurs postures, leurs gestes.
Pas d’anecdotes, pas de hiérarchie, ces femmes ont les croise avec Michèle Métail mais elle, elle les observe très finement, formes, couleurs, leur associe des mots précis, leur donne une sorte de statut ethnographique fort : il n’y a pas que des hommes (disciples de Bouddha ou non) qui soient représentables dans ces sociétés très conservatrices ! Au lecteur d’apprécier le degré d’émancipation, d’originalité, de fantaisie, de liberté de chaque silhouette. Rien de superflu dans les descriptions, pas d’interprétation, mais l’image que chacune aura renvoyée à l’instant T où Michèle Métail l’aura croisée.
Ce livre est un extraordinaire révélateur de postures, de micro-gestes, de marqueurs sociaux, d’indicateurs d’âge ou de saisons de l’année. Et un bel hommage aux femmes anonymes du Japon, de la Chine, de Taïwan, si souvent occultées.
Il faut parler des couleurs aussi ! Ecoutons Michèle Métail, à la fin du livre, qui explique ce qu’elle nomme « le nuancier » : « L’harmonie des couleurs, le soin apporté à leur assemblage font partie de la culture japonaise. En 1933 furent publiés les six volumes de La collection complète des combinaisons de couleurs. Prenant cet ouvrage comme référence, j’ai relevé sur chaque inconnue quatre couleurs. Elles sont regroupées dans un texte indépendant. Quand nommer les couleurs devient une autre forme de la représentation. »
On peut trouver quelques exemples ci-dessous.
Florence Trocmé
*L’ère Heisei, 1989-2019, correspond à une période critique pour le Japon, marquée par stagnation économique, vieillissement démographique et des crises institutionnelles. Sans parler de la catastrophe nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011. Il ne semble pas que dans ce livre Michèle Métail fasse allusion à la catastrophe, mais dans un autre de ses livres, elle avait fait le portrait d’une « Miss Fukushima. »Ce cadre temporel permet à Michèle Métail de mener une vraie enquête anthropologique par l’observation, au hasard, de 500 sujets féminins tous porteurs de signes de leur époque, de leur inscription dans leur société, de la mode, des usages, du contexte urbain, etc.
Michèle Métail, les 500 inconnues de l’ère Heisei, 2024, 288 p., 20€
Extraits :
234
Béret
assorti
au
manteau
en
lainage
et
bottines
lacées
devant
le
sanctuaire
elle
glisse
une
pièce
dans
l
urne
agite
le
grelot
tape
deux
fois
dans
les
mains
espère
attirer
l
attention
d
esprits
bienveillants
qui
exauceront
son
vœu
peut
être
(234)
*
*
297
visage
émacié
tout
comme
le
reste
de
son
corps
est
maigre
chemisier
lavallière
en
tissu
polyester
imprimé
petits
carreaux
sous
un
trench
ceinture
à
boucle
de
cuir
sac
en
bandoulière
elle
lit
debout
se
tient
d
une
main
a
une
poignée
suspendue
*
*
173
les
cheveux
ras
le
blouson
matelassé
le
pantalon
large
les
chaussures
lacées
le
sac
en
bandoulière
sur
la
hanche
tout
devrait
évoquer
l
allure
dynamique
d
une
sportive
pourtant
elle
marche
avec
une
canne
dans
la
file
réservée
aux
cyclistes
*
*
338
elle
est
jeune
le
crâne
déjà
dégarni
et
sa
tenue
vestimentaire
banale
se
confond
avec
tant
d
autres
t
shirt
pull
ras
du
cou
pantalon
large
baskets
mais
elle
s
éclate
côté
accessoires
sac
fluo
écouteurs
flashy
une
coque
de
portable
miami
beach
*
Extrait du nuancier, pour le portrait 338
rose dragée • vert fluo• bleu turquoise • vert vif