Michèle Cohen, notes sur l’écriture radiophonique


Michèle Cohen vient de publier un beau livre, ‘La Rédactrice’, aux éditions du Panseur. Voici un extrait sur l’écriture radiophonique.


Michèle Cohen, La Rédactrice, Éditions du Panseur, 2023, pp. 76-78, parution le 9 mars 2023

À vingt ans, j’ai fait connaissance avec l’écriture radiophonique et sa grammaire de base, combinatoire de voix, musique, bruit et silence : voix/musique, voix/bruitage, voix/silence, voix/voix, musique/ bruitage, musique/silence; et encore ruptures, cadences, durée, espace, écho, réverbération, tout ce dont disposait l’outil radiophonique pour inventer une forme, un fond, du texte, de l’écriture, un style.
À l’Atelier de création Radiophonique, l’appareillage était modeste, l’émission était pauvre, mal logée dans cette cabine 278 bourrée jusqu’à la gueule de bandes magnétiques (mais peut-être est-ce le cas de tous les lieux où quelque chose s’invente ?). Pour le dire avec les mots de notre maître Alain Trutat, c’est le plaisir très subtil du montage qui suppléait à notre dénuement, de même les pleins et les déliés du mixage, et la ténuité préservée du silence et le son affaibli, le son renforcé, la cadence trouvée, la discordance soudaine, reprise, affirmée, célébrée, et l’audace de tous les sons mêlés. À défaut d’avoir les moyens, nous avions du temps, des oreilles, et puis nous étions bricoleurs, dégourdis, inventifs. Et la technique nous procurait un vif plaisir.
Avant l’Atelier, une interview était un entretien compassé où chacun lisait, qui les questions et qui les réponses. La radio était du texte écrit. Ou bien la radio était du théâtre et les sons n’étaient que de pauvres illustrations : ‘il ouvrit une porte’ crouic, bruit de la porte. ‘Au loin, une cloche sonne’ ding dong, bruit de la cloche, etc. L’esthétique était au mieux celle du chromo. Et puis vint l’Atelier.

Des enfants vietnamiens chantent tous ensemble. Leurs voix sont suraiguës. Ils sont petits. C’est une sorte de comptine. On entend un grondement qui vient de loin. Des avions approchent, menaçants. Qui deviennent de plus en plus présents, de plus en plus effrayants. Ils sont là. Ils couvrent le chant des enfants. Les écrasent. Les avions s’éloignent, silence de mort — et le chant des enfants réapparaît. Fort, aigu, joyeux (Good morning Vietnam, Janine Antoine, Claude Johner, 1972).

J’ai participé à cette révolution avec ferveur. Avec jeunesse. Le son était sacré. Il avait sa théologie et sa légende dorée. Il avait ses rituels, sa morale, il exigeait un don de soi total (tout ce temps passé à mettre en ordre et en désordre des mots, des rires, des bruits, des musiques, à écouter des chants d’oiseaux, des bruits de pas, des gouttes d’eau, des clochettes de calèches et des sanglots). Il avait aussi ses héros, ses saints, ses maîtres zen, sa grande prêtresse, son pape — et ses apparitions éblouissantes : là, au studio 112, Marguerite Duras enregistrant la bande-son d’India Song, avec Michael Lonsdale, Delphine Seyrig et l’ineffable Viviane Forrester à la voix dans le souffle, susurrée, dont je me moquais alors.

Michèle Cohen, La Rédactrice, Éditions du Panseur, 2023, pp. 76-78,
Sur le site de l’éditeur
Parution le 9 mars 2023

Il sera beaucoup question de ce livre dans un Flotoir à paraître sous peu.