Camille Loivier convie ici le lecteur de Poesibao à un cheminement dans les paysages de la vie de Marie Huot.
Marie Huot, Mimosa, reliques et révolution, Backland éditions, 2024, 59p., 17€
Avec ce titre à trois temps, Marie Huot nous convie à un cheminement dans les paysages de sa vie, paysages sombres ou clairs qui ne manquent pas de détours, de précipices et de plaines, qui vont de l’enfance à la mort. La beauté est présente, elle n’apparaît pas sans mélancolie. Ce n’est pas qu’elles ne peuvent exister l’une sans l’autre, au contraire, on voudrait des jours brûlants et radieux, sans fausse note, mais humainement, il n’est même pas convenable d’y songer.
Un désespoir profond habite les lieux de la poésie de Marie Huot qui attend que « le facteur lui apporte une bonne nouvelle » (p. 19), même une seule, mais l’impression demeure que « Ce paysage ne me va plus/ je n’entre plus dedans » (p. 22). Si le désespoir est là devant soi, dehors, il entre par toutes les portes et les fenêtres grandes ouvertes pour l’accueillir, car il a besoin d’être partagé afin de tenter de le rendre moins lourd.
Le monde a rétréci, nos imaginaires et notre cœur aussi. Ces chagrins qui nous assaillent, des éléments de vie très personnels les rehaussent de leurs petites touches tremblantes, « ma mère parle dans la voiture tandis que je la reconduis à la maison » (p. 37). Ils donnent l’échelle pour mieux apprécier la taille des douleurs, des affres et des morts. Le constat est lucide : « notre chute a la lenteur des supplices et la brutalité définitive du crime ». (p. 48) Ni pathos, ni lamentation pourtant dans ces vers, mais le courage des chevaux, un espoir, un désir d’autres lendemains : « J’ai beau ardemment vouloir des choses/je continue d’écrire des poèmes d’orpheline. » (p. 39).
On retrouve alors dans ce recueil la réserve de magie, de contes et de légendes qui caractérise la poésie de Marie Huot, et nous voilà chevauchant des mondes plus fiévreux, dynamiques et réjouissants. Le poème qui commence par ce magnifique vers, « Comment j’ai changé mon jour de lessive en chanson » (p. 52) nous invite à l’apprendre par cœur et à le réciter dans les moments difficiles. Car on n’arrive pas à croire que le poème cherche vraiment « ce calme miraculeux qui saurait nous rendre imperméable à la douleur. » (p. 35) Ce vers fait écho à la première strophe du poème de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant La solitude : « Ô que j’aime la solitude !/ Que ces lieux sacrés à la nuit/ Eloignés du monde et du bruit/ Plaisent à mon inquiétude ! », poème si divinement mis en musique par Henry Purcell. C’est un temps de peu d’espoir et de force calme, mais la poésie l’aime et la pensée aussi, auxquelles nous n’accordons plus assez de temps, pressés de mourir que nous sommes. N’est-il pas temps de s’arrêter ?
Aux malheurs du monde « des hommes pleurent/ assis par terre/dans des villes détruites » (p. 42), la nature n’apporte plus de consolation, elle est complice, malgré elle, de l’inhumanité des hommes. Même la mer « fermée entre deux rives » nous ne pouvons plus la regarder en face : « une mer où on meurt/où meurent les autres/ toujours les autres les inconnus les lointains » (p. 23). Pourquoi la mer ne se met-elle pas en colère ? Est-ce au fleuve de le faire, qui sort de son lit : « La vieille gare maritime a été démolie/ le fleuve entre désormais dans ma maison » (p. 44) et l’on imagine cette vague riche de poissons, d’algues, de vies sous-marines se déversant dans le salon : « Le fleuve boit dans les tasses/ de ma grand-mère fleurie » (p. 44). C’est lui qui emporte l’écriture loin de sa fatigue et de son désarroi. Il redécouvre les parfums de l’enfance, le mimosa, les objets qui remontent des temps disparus, et la révolution qui est celle sans révolte de la Terre, mais aussi l’espoir qu’une vraie révolte prenne forme. Quand on reconnaît sur la couverture de ces belles nouvelles éditions Backland, la première image du Le miroir d’Andreï Tarkovski, on repense à toute la profondeur, en trois temps, du titre et du recueil : l’enfance, la politique, la nature féminine.
L’eau est très présente dans ce recueil, l’eau de la rêverie, de la mélancolie et de la mort. Mais c’est aussi l’eau du renouveau et de la vie qui ne veut pas tarir :
Il s’est mis à pleuvoir sur le grand fleuve
tandis que je traversais le pont
un bruit de grains jetés aux poules
je me suis arrêtée
appuyée à la rambarde
sans rien sur la tête que la pluie drue
Je me suis mise à songer
aux êtres engloutis par le temps
aux vivants et aux morts
liés par des aventures orageuses
Quelques minutes précaires
tout occupée à nommer la ruine lente
qui vient au-dedans de nous
Puis j’ai craché dans le fleuve
et conjurant le malheur
je suis rentrée à la maison
(p.49)
Camille Loivier
Marie Huot, Mimosa, reliques et révolution, Backland éditions, 2024, 59p., 17€