Jean Marc Sourdillon, “Aller vers”, extraits


Jean Marc Sourdillon publie aux éditions Gallimard “Aller vers”, où voudrait se dire  “une sorte de bond, d’élan fondamental”.


 

Jean Marc Sourdillon, Aller vers, Gallimard, 2023, 112 p., 16,5€ (parution le 11 mai 2023)


Marche de retour à travers les sous-bois. Fin d’hiver, il faisait froid. Le ciel, au moment du couchant, se rapprochant, rouge, rose et gris.

L’obscurité peu à peu enveloppant le marcheur d’un geste fraternel comme si elle lui mettait un manteau sur les épaules et qu’elle pouvait quelque chose, qu’elle avait le pouvoir de consoler.

J’avançais seul entre les arbres espacés avec la curieuse impression d’être chez moi, d’avancer dans mon propre cœur ajouré, quelque part à l’intérieur loin de là.

Et c’est alors que je les ai entendus.

Je ne pouvais pas les voir à cause de la pénombre et du brouillard. Mais je les ai entendus, juste à côté de moi, ou un peu devant sur le chemin étroit. Leurs bondissements.

Ils ont d’abord bougé, sans doute pour s’écarter — bruissement de feuilles — et puis ils se sont élancés. Quelle cadence alors, quelle élégance, quelle frappe légère et en même temps puissante et déterminée. Tout le sol résonnait. Ils se sont élancés comme s’ils ne devaient retomber jamais. Ou si, ils sont retombés, mais comme on prend appui pour sauter plus haut et librement.

Ils fuyaient, je le comprenais, mais dans un seul bond, un élan puissant et pur, sans but, sans destination comme un unique et éperdu battement de cœur, épanchement de sang dans le ciel. Bond démesuré d’une énorme jambe, comme s’ils avaient été des bêtes géantes, des créatures merveilleuses d’autrefois.

Ils ne couraient pas, ils ne détalaient pas. Ils s’enlevaient.

Et moi, qui les écoutais, qui les avais surpris sans les voir, j’étais enlevé par eux, je m’enfuyais avec eux, comme porté, comme entraîné à la fois dans ces sous-bois et à l’intérieur de moi, de mon propre cœur selon son battement ou son bondissement, comme si j’allais mourir, comme si j’étais en train de mourir avec eux dans le silence d’avant la nuit.

Mais j’étais toujours là, je marchais sur le chemin seulement précédé par eux, avec ce son, ce souvenir à l’intérieur, comme un écho, comme une annonce de ma propre force, de mon propre élan, de cette capacité que nous avons de nous relever, de bondir sans jamais retomber, de poursuivre le bond en essayant de répondre du mieux que nous pouvons à l’imperceptible, à l’imprévisible appel qui toujours nous devance, toujours nous élève.

Jean Marc Sourdillon, Aller vers, Gallimard, 2023, 112 p., 16,5€, pp. 13 et 14, (parution le 11 mai 2023)