Jean-Louis Giovannoni, “Tout corps entame”, lu par Isabelle Baladine Howald


Une lecture bouleversante pour Isabelle Baladine Howald que celle de ce livre de Jean-Louis Giovannoni. Elle en rend compte ici.



Jean-Louis Giovannoni Tout corps entame, gravures de Philippe Duthilleul, Aencrages&Co, coll. Écri(peind)re, 2023, 56 p, 21 €



Se tenir




Ne me souviens pas d’avoir été appelé.


Parfois on me serre la main, mais le temps d’arriver… 

Peut-être devrais-je prendre le visage du tout venant ? 

J’ai la même posture depuis des heures.

Je vérifie de temps en temps si mon corps est là.

Pieds et jambes, je n’en suis pas certain.

Pour l‘instant je suis contenu dans une pièce comme le fruit dans le creux de ma main.

Plus on ajoute de corps, moins il y a d’air ! 

Etre clos n’est pas donné à tout le monde.

Tout ne peut cicatriser

Chaque trace est une histoire 

– corps parti on ne sait où.

 Pourquoi rester entier ? L’air retient si peu.

Jean Louis Giovannoni


C’est un livre qui tient à peine debout. J’en ai retiré ce peu de corps, c’est-à-dire que quand ce « poème » ci-dessus est sorti du livre devant mes yeux, je l’ai laissé faire.
Evidemment il n’y a pas que cela. Mais c’est cela qui m’a retenue. Un poème qui y est – la preuve – et qui me bouleverse. Il me fait penser à Samuel Beckett. Et à Paul Celan pour son entame et pour l’air. Mais je pense toujours aux mêmes choses, c’est vrai.
Un livre où les gravures, les éraflures devrais-je dire, de Philippe Duthilleul ne proposent rien d’autre que ce qui reste comme ce qui s’efface, transposant présence et absence. Dans deux arts différents, dire la même chose ne se voit pas de la même manière mais on sait ce qui se passe, ressemblance, léger déplacement mais aussi infinie proximité.
Ce fut autrefois « Garder le mort » (Unes, 1991, 2017), et c’est aujourd’hui garder le vivant.


Isabelle Baladine Howald

Jean-Louis Giovannoni Tout corps entame, gravures de Philippe Duthilleul, Aencrages&Co, coll. Écri(peind)re, 2023, 56 p, 21 €

Signalons aussi le journal qu’on peut dire du confinement, chez Unes, Le grand vivier, où la même fragilité, la même minutie de l’observation mais dans un texte de prose, plus long, plus détaillée étire le temps, ce temps si particulier, vécu avec la même obstination et la même allure, défaite, émouvante, tellement émouvante.