Antoine Bertot lit pour Poesibao le nouveau livre de Marc Blanchet, “Suites et fins”, récemment paru aux éditions Le Cormier
Le précédent recueil de Marc Blanchet s’intitulait Tristes encore. L’adverbe insistait sur la permanence du sentiment et d’un genre poétique qui lui était associé à la suite d’Ovide. Le titre de ce nouveau recueil, Suites et fins, met l’accent cette fois sur un mouvement, certes, mais de déclin. Le pluriel employé permet de réintroduire cependant l’idée du cycle. D’une fin surgirait toujours et encore autre chose.
Les trois sections du recueil (« Frères », « Forteresse », « Roses ») s’ouvrent sur ce même souci du temps, cette attention à ce qui peut ou non à nouveau venir, à nouveau se dire. « Frères » débute ainsi en décrivant le retour de l’enfance : la page devient le lieu d’un regard rétrospectif sur les tensions fraternelles qui furent à « l’origine », et d’un regard actuel sur ce qu’il en reste (« Frères, / des années après / je vous dépose / comme figures / sur la nappe d’enfance »). Dès la première page, la deuxième section lie les mots à l’image de la « forteresse » qui protège et isole du cours du temps. Le poème abrite, mais ne permet pas de faire sien et d’incarner le débordement que devrait être la vie : « Les mots – forteresse. / Le corps tenu au silence. / Et la vie. La vie inspirée / de surgir en actes ». La dernière section affronte le deuil que l’image des roses fanant annonce : « Regarde les roses. / Le nom / a préservé la couleur. / Lentement, / elles se délient. / Un parfum chute ». Le constat d’une vie hantée par sa fin ronge l’écriture attentive à voir « la mort fleurir ». La suite des jours et leur renouveau ne parviendraient alors en rien à contrer cela puisqu’ils ne feraient qu’entériner ce mouvement. Alors, que dire lorsqu’une rose fleurit vraiment ?
« Les jours reviennent.
Tant et tant qu’ils épuisent.
Les jardins se succèdent.
Un matin, une rose éclot,
pure ironie.
A rien d’autre promise
qu’un regard – une coupe. »
« Ironie » tragique sans doute que l’éclosion de cette rose fragile qui ne tient que le temps d’un poème prédisant sa « coupe ». Sans doute est-elle trop poétiquement attendue. Et pourtant, on comprend aussi comme cette rose attire et retient le regard, comme son éclosion seule répond au déclin, et ne peut venir qu’après lui, grâce à lui. « Couper » pour voir le jour, affirmait déjà un poème de la première section au sujet des relations familiales : « Ainsi une vie s’éleva, / multipliant les séparations. / S’amusant des querelles, / elle prit la famille à revers ». La singularité de la poésie de Marc Blanchet tient à ce qu’elle arrive à nouer, dans une grande tension, le sentiment de la fin, l’oppression qui en découle et, malgré le deuil, l’élan du désir : « Regarde. / Effleure. / Étreins. / Au cœur de l’assèchement, / les fleurs demandent un peu d’eau. / Même trouble ». Tant mieux, donc, si tout finit par tomber puisque là s’entrevoit étrangement une autre clarté : « Cette histoire en son déclin, / ces souvenirs écartelés : le temps espère / y jouer un jour ».
Antoine Bertot
Marc Blanchet, Suites et fins, Le Cormier, 2022, 102 p, 16€
Extraits
Le cerveau obstrue
ce qui devrait brûler.
On perçoit son trouble.
Ses yeux las d’éprouver.
*
Feuilles noires mortes.
Le désir perdu
d’en briser l’épaisseur.
*
Cette histoire en son déclin,
ces souvenirs écartelés :
le temps espère
y jouer un jour.
*
Ruminer à toute heure
une éternité déjà recensée.
Les membres brisés,
un visage git dans son ombre.
*
Sa bouche s’évertue
à arrondir les angles.
Rêve de mettre le feu
à une vie d’archive.
(p.55-59)
On peut lire d’autres extraits publiés par Poesibao ici.