Lea Nagy, “Le chaos en spectacle”, lu par Murielle Compère-Demarcy


Murielle Compère-Demarcy a lu pour Poesibao “Le Chaos en spectacle” de la poète hongroise Lea Nagy (publication Éditions du Cygne).


Lea Nagy, “Le chaos en spectacle”, Éditions du Cygne, 2022


Publié par la jeune et prometteuse poétesse hongroise Lea Nagy déjà assez largement promue hors de son pays et en France notamment par les éditions du Cygne fondées et dirigées par Patrice Konozsai qui lance cette autrice et signe la Préface, Le chaos en spectacle nous offre la première publication en langue étrangère de la lauréate des prix « Debüt » et « Khelidón ». Le voyage chaotique auquel nous convie ici Lea Nagy prolonge Turbulences et Chute de pierres publiés en langue hongroise et signe la fin du spectacle avec, dans les bagages comme des balises mouvantes au fil de l’avancée parcourue, la rémanence d’images et la persistance de souvenirs que laisse toute traversée intense, expérimentale existentielle. Riche d’une créativité œuvrant avec une toute nouvelle économie du texte déployée dans une logistique singulière qui dépoussière le champ poétique, Lea Nagy nous offre une écriture circulant au près serré du grand mouvement aléatoire de la vie, quand « le chaos » charge de tout son sens les ondes défrayant les lignes de bifurcation du quotidien. Le chaos ou l’aléatoire du vivant qui investit ce qui nous entoure et nous emplit lorsque nous consentons à nous laisser toucher par la puissance de ses turbulences, ses convulsions, hoquets et déferlements. Le réel ainsi zigzague et le Poème qui en retranscrit le rythme, le tempo, les riffs ou secousses, insuffle à ses mots comme autant de touches de couleurs allumant un atelier vivant, flamboyant, fulgurant et nomade, ainsi…

Le réel n’a d’autre signe
que l’oiseau-marionnette zigzaguant là-haut.

jusqu’à ce que…

L’oiseau-marionnette qui zigzaguait fonce sur nous.
Il pointe son bec vers le soleil.

Alors qu’il ouvre sa crécelle,
l’eau du ruisseau apportée par ses oisillons nous dégouline dessus. 
Je regarde le sourire de ta branche ridée.
C’est important. Tout comme le temps.

La poésie de Lea Nagy nous dépayse comme la vie est imprévisible, vécue au rythme free-jazz qui est le sien, ne cessant de nous surprendre et nous emporter dans son « chaos en spectacle ». Il s’agit de donner voix à la lucidité fervente du Vivre ; il s’agit à l’instar de l’Oiseau-marionnette (semblable de l’Oiseau à ressort de Murakami, remixé par Patti Smith comme en apparition chamanique dans M.Train) de se laisser s’introduire ou s’envelopper dans les fulgurances, éclairs, vibrations fugaces de l’existence, d’en écrire comme on les revit par la danse ou la frappe martelé des mots, sourire volatile et phrasé trempant dans le chaudron d’un alchimiste du réel transpiré en live.
Il ne suffit pas : il s’agit de… regarder bouger le monde comme oser voir jusqu’au fond de la mer, sortir du cocon de sécurité du ventre maternel (« quitter la sécurité flottante du ventre maternel ») ; il s’agit de sourire du sérieux vénal ou coupable ou plombant des amants de passage, de sentir comme « le silence » peut être « terrible » en compagnie de l’amour provisoire d’un « vieux renard » ou « d’un vieux fripon », nager, nager encore vers le fond de la mer jusqu’à faire trembler le silence et mettre le cap sur le « Nouveau monde bleu », toucher pour approcher le réel éternel, embarquer sur l’eau, débarquer sur la côte –« signaler son départ en sifflant dans un coquillage » ; il s’agit de tisser,  guirlandes rimbaldiennes, des “Cordes de lumière” sous les auspices atemporelles du dieu solaire Rê…

(…)
nous guettons ce qui convulse,
l’ondulation des convulsions.
Rien ne comptait, car personne
ne nous prêtait plus attention.
Nous caressions l’incaressable
Dans le chaos à l’honneur

Vive, vive !


Murielle Compère-Demarcy (MCDem.)

Lea Nagy, Le chaos en spectacle, Éditions du Cygne, 2022, coll. Poésie du monde / Hongrie
70 p., 10 €