« Des poèmes sous tension qui suggèrent et approchent plus qu’ils ne décrivent et racontent », écrit Pascal Boulanger
Il est beaucoup question de la nuit et de ses empreintes dans ces poèmes sous tension qui suggèrent et approchent plus qu’ils ne décrivent et racontent. Une nuit qui dépasse les frontières des couleurs et dessine un jardin infini, celui d’une vie intérieure et d’une intimité qui se retrouvent après s’être perdues dans l’ombre labyrinthique de nos chemins précaires.
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Aussi loin que porte le regard
Soulignant l’air offert,
Les rues dénudées,
Comme l’esprit
qui cherche
en ses soupirs
le jardin infini
creusant l’infini suspendu de la nuit
(…)
Il est question aussi de l’enfance (le recueil est dédicacé aux deux enfants et au frère de cette peintre et poétesse), de son esprit retrouvé à volonté et de la gratitude absolue à ce qui vit et se déploie. Retrouver à volonté l’enfance des choses, c’est être à l’écoute du visible, de ses couleurs que révèle la parole poétique. Cette enfance-là, qui se pose et se ressource chaque nuit, se lave des couleurs artificielles du théâtre social et corrompu, afin de mieux goûter intimement à l’écoulement de la lumière du temps. Ce long poème fragmenté adopte une économie de type providentiel et à éclipses. Il est dans le trait, jamais dans le bavardage, il accueille la lumière épiphanique qui ranime les énergies et révèle toutes choses à elles-mêmes.
Si nous lisons ces pages comme un seul et unique poème, une fresque se dessine, centrée comme sur une peinture de chevalet, au tranchant s’inscrivant dans une durée suspendue et en attente. Une place est laissée au silence, car chaque chose qui relève du cœur est fragile et vulnérable. Sophie Brassart écrit des poèmes humbles sur choses humbles, celles qui sont les plus profondes en vérité, car les plus douloureuses et les plus joyeuses, les plus cachées et les plus mystérieuses. Cette intériorité n’est pas un retour égotiste à soi-même, elle se consume dans une dialectique entre le dedans et le dehors, le lumineux et l’obscur, l’émeute du cœur et les contours de la terre. L’auto-révélation de la vie nous est ainsi dévoilée, mais sans bruit, sans performance, par une manière singulière de peindre le réel pour atteindre les couleurs du rêve. Dans Combe déjà (Editions Tarmac, 2018), Sophie Brassart peignait poétiquement l’inscription muette qui se noue autour des gestes et des pensées. Elle s’affirme, avec la publication de ce troisième recueil, comme une poétesse du regard et de l’égard, dans l’accueil – tout en délicatesse – de la voix-vie et de sa géométrie.
(…)
un rire comme bourdon
dans l’ombre régulière
dans les cercles roux de la fougère
le réveil terrestre du marin & radieux
(…)
Pascal Boulanger
Sophie Brassart, L’ être à l’enfant, Editions Tarmac, 2022, 15€