Poesibao propose ici quelques extraits inédits de Laurent Margantin, “Poèmes insulaires” : “laisser les formes et les couleurs émerger lentement“.
DANS LE LOTISSEMENT PRIVÉ
sur les hauteurs de la Possession
ils ont rassemblé leurs trésors
des villas sans âme qui vive
gardées par des chiens aboyant tout le jour
un cadavre de chat sur une place de parking
une vue imprenable sur la mort argentée
UN CHIEN NOIR
zone dans le champ de cannes
fraîchement coupé
flairant à ras de terre
les tiges jaunes arrachées
là-bas il reste
une bande verte
écrasée de bleu
UN VIEIL HOMME DANS LA RUE
mangeant le croûton
de sa baguette comme
l’enfant qu’il fut
la corde du pendu
accrochée à une branche
mais sans pendu au bout
NID DE FORME OVALE
trouvé sous un arbre
où des tisserins
étaient souvent perchés
belle construction
de brins d’herbe
tressés les uns aux autres
je le tourne dans tous les sens
pour trouver l’entrée
mais l’intérieur reste caché
CERTAINS JOURS
où il n’y a rien à dire
ni à écrire
laisser les formes
et les couleurs
émerger lentement
comme celles de
cette gaine foliaire
tombée d’un palmier
l’intérieur parcouru
de très fines lignes
aux tons orangés
bleutés et violacés
menant tout droit
à une zone inconnue
de l’esprit
À L’ENTRÉE DE SAINTE SUZANNE
un banyan regarde la rue
de toutes ses feuilles
au bar à la façade rouge
où personne ne s’arrête
un mort s’assoit parfois
revenant au cimetière
après sa promenade matinale
SUR LE CHANTIER
ils coupent le flamboyant
aux branches noires
comme carbonisées
où poussaient de nouvelles feuilles
souvenir du bûcheron
qui avait exécuté les grands
palmiers à côté
son regard endeuillé
quand il me parlait
PETITE FEUILLE
trouvée dans l’ascenseur
mise dans la poche du pantalon
et retrouvée dans la machine à laver
humide et intacte
fines nervures mieux dessinées
vert sombre plus brillant
Laurent Margantin, “poèmes insulaires” (inédits)