Laura Vazquez, « Le livre du large et du long », lu par Philippe Poivret


Philippe Poivret entraîne le lecteur de Poesibao en large et en long dans ce livre de la poète Laura Vazquez.



Laura Vazquez, Le livre du large et du long, éditions du sous-sol, 2023, 416 p., 22€


D’emblée Laura Vazquez nous prévient : « Je vous raconterai ce que j’ai vu et deviné du monde et des signaux qui nous entourent » (p. 11) Tout en sachant que « l’inconnaissance nous recouvre » (p. 13) L’inconnaissance, qui rappelle l’intranquillité de Fernando Pessoa, nous impose des limites dans l’exploration de notre monde et de notre univers intérieur. Le programme est ambitieux, il s’agit de raconter la vie avec le langage et la connaissance que ce langage apporte. Langage et connaissance ont leurs limites. Elles seront explorées Il sera aussi question de la transmission du savoir par le langage, et là encore les limites de cette transmission seront interrogées.

C’est la vie dans ce bas monde qui intéresse Laura Vazquez. Sous toutes ses facettes. Les spéculations sur ce qui se trouve inaccessible à notre connaissance n’ont pas de place ici. C’est finalement la condition des hommes et des femmes qui parlent et sont vivants au moment où elle écrit qui intéresse Laura Vazquez.

L’Ouverture, premier chapitre du recueil, est écrite avec une syntaxe, une ponctuation et une orthographe classiques. Mais dans les chapitres suivants, l’orthographe est bouleversée. Il manque souvent des voyelles, le e surtout. La ponctuation a disparu, il ne persiste plus que les majuscules au début de certains vers. Il faudra attendre le dernier chapitre pour retrouver une orthographe, une syntaxe et une ponctuation classiques. Entre temps l’épopée promise se sera déroulée

Dès le début, Laura Vazquez comprend que la vie, le monde est multiple. Il n’y a aucune unité, rien n’est figé et « Tout est possible à qui le souhaite » (p. 47). Dans ce multiple, il y a les autres. Elle s’adresse à une amie et apparait alors un personnage qui a un rôle central : un chirurgien qui deviendra plus loin une chirurgienne et qui est un double de la poétesse. La poésie, comme la médecine, est une attention à l’autre, une attention au lecteur et au monde

J’avais une tendresse dans mes mains
Je l’avais en moi pour les autres
J’avais de la pitié
comme si tous le bébés venaient d’une terreur (p. 58)

Les mains du chirurgien qui opère, les mains de la poétesse qui écrit, sont pleines de tendresse. Rien n’est acquis d’emblée, au départ la sérénité n’est pas donnée, c’est plutôt la peur qui domine. Face à ce difficile départ, Laura Vazquez enchaîne et conclut sa page par « Aide ce qui t’entoure ». (p. 58)
Les mots, la matière première de la poésie ont leurs limites. Tout n’est pas dicible, il reste une part qui n’a pas de nom. Et ceci, même si les choses sont nommées « Les objets avaient un nom/ Je l’appris dans l’enfance/ Pourtant les miettes de pain si différentes/ l’une de l’autre / N’étaient jamais nommées dans leur individu » (p. 87). Et si les mots ont leur limite, il ne faudrait pas oublier qu’il existe toujours un espace qui les sépare de ce qu’ils représentent, que le contraire existe et que c’est justement dans cet espace que se situe une certaine vérité « prendre une route/ à la fois dans un sens et dans l’autre est/ un sentiment/ possible dans l’esprit » (p. 154).

Le personnage de la chirurgienne apparait à plusieurs reprises tout au long des chapitres. C’est elle qui « transfère de la lumière dans / le sang des malades » (196) et dit « je change l’ordre » (196). La poétesse-chirurgienne, à moins que ce ne soit l’inverse, nous confie « je suis médecine, je pose mes paumes sur votre / front, je soigne » (p. 386).
A la fin du recueil, on peut lire ces vers qui ouvrent encore et toujours sur les limites mais aussi et peut-être surtout sur les possibilités du langage et de la vie :

Dans l’épopée générale, les épisodes sont
des chemins empruntés à partir d’un chemin
plus large auquel on revient toujours et qu’on
ne saisit jamais (p. 408)

Philippe Poivret

Laura Vazquez, Le livre du large et du long, éditions du sous-sol, 2023, 416 p., 22€ – fiche du livre sur le site de l’éditeur