“La lampe de poche intérieure” de Marcel Proust, par Vianney Lacombe


Le narrateur de La recherche éclaire avec sa lampe de poche intérieure l’édifice du souvenir ; mais autour de cette lumière...


Le narrateur de La recherche éclaire avec sa lampe de poche intérieure l’édifice du souvenir ; mais autour de cette lumière précise il n’y a pas rien, il y a des trouées qui attendent d’être explorées avec des instruments d’optique adaptés à la vue intérieure, et le narrateur descend alors derrière cette première impression, derrière ce souvenir comme s’il existait réellement un espace derrière la vue, où les détails des sensations peuvent être observés, mais pas seulement, puisqu’il les nomme et les architecture pour nous permettre de descendre avec lui par une sorte d’échelle, et il nous dit à gauche, à droite, ce n’est pas seulement de l’obscurité, il y a des objets enfouis depuis des milliards de secondes d’années qu’il faut faire bouger et remonter d’une sorte de gangue immergée, opaque, mais qui garde la trace de cet enfouissement, et le narrateur avec le tact de sa vue fait le tour de ces objets qui se dégagent de la boue et qui s’éclairent en remontant avec nous vers le présent : donc ces objets ne sont pas perdus, ils sont surmontés par tous les jours vécus passés sans eux, et ils apparaissent. Mais ils n’apparaissent pas maintenant, ils apparaissent avant avec des années de retard, dans l’état où nous les avions laissés : ils sont nettoyés de leur poids de réalité et ils apparaissent dans la transparence innocente de leur première vue, alors que si nous avions conservé leur présence, ils auraient vieilli, ils se seraient dégradés, ils auraient pourri. Mais le miracle de l’exploration intérieure du temps passé, c’est qu’elle permet de mesurer le temps ; non le temps vécu tous les jours, mais le temps disparu dans son écart entre le temps présent et la profondeur de la distance intérieure où il a fallu plonger pour le remettre à jour.

Vianney Lacombe


Image : manuscrit de “A La Recherche du temps perdu”, fonds Marcel Proust (source)