Julien Bosc, « Neige d’avril », lu par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy rend compte ici pour Poesibao d’un nouvel ensemble de poèmes de Julien Bosc, disparu en 2018, « Neige d’Avril ».



Julien Bosc, Neige d’avril, éditions Collodion, 60 p., 2023, 12 €.


Depuis la disparition de Julien Bosc en 2018, plusieurs livres sont parus qu’il avait laissé prêts à sortir de leur nid, et chacun d’eux s’ajoute à ceux déjà connus, tous portant la marque d’un pur poète. Non pas occupé à des jeux formels (que par ailleurs il connaissait et maîtrisait fort bien), mais soucieux, et avec de si grands scrupules, de simplement dire, il avait noté ces poèmes qui aujourd’hui nous arrivent comme on consigne des fragments du présent déplié dans la nature qui nous est la plus familière, en quelque sorte nous encadre.

Les éditions Faï Fioc ont publié La demeure et le lieu en 2019, Julien Bosc y rendait compte d’un quotidien régulier, attentionné qu’il était à l’environnement dans lequel il baignait, soit cette campagne creusoise qu’il avait adoptée, lui, le natif parisien pour qui cette province avait été, en période nazifiée, le refuge d’ancêtres pourchassés.

tempétueux
le vent fait battre la chatière
s’engouffre dans le poêle
et chante
avec les voix du bois qui brûle

De cette maison dressée qu’il avait baptisée « phare », et de son écrin bucolique, il observait et accueillait le bruissement de l’air, presque un air d’opéra discret qui se mettait alors à chanter pour lui d’une voix frêle, sur le ton de la confidence, et dont le poète n’avait plus qu’à se faire le greffier. Un air qui était aussi celui des oiseaux (merle, mésange bleue, nonnette ou charbonnière), des fleurs et arbres qui ensauvagent ce lieu (mélèze cerisier, jonquille crocus, violette…) ou encore celui du chat ami, pépère. L’œil devient l’encre qui inscrit sur les tablettes les moins usées la geste journalière d’un décor où Julien figurait, tremblant et témoin, partie prenante d’une même matière vivante.

de loin
sous les nuages
la plantation de mélèzes est d’un même beige blafard
que les vieilles pailles mouillées
mais
pris par le soleil
– celui-ci bas d’hiver dont la lumière est peut-être
la plus épurée des quatre saisons –
l’alchimie des spectres la transmue en grève lumineuse
– avec ici les feuillus pour falaise
ici les sapins telle la mer

Cette année, ce sont les éditions Collodion qui publient Neige d’avril, un ensemble de poèmes de la même veine que ceux de La demeure et le lieu, autant de textes brefs épris de quotidien, de petites choses, d’ennui balisé par les mots qui retiennent la cloche des minutes et des secondes. Cette poésie se voulant la plus stricte, la plus fidèle, elle est le fait d’un homme qui, en dépit de la souffrance qui le tenait et le hantait, s’appliquait à être un homme absolument digne, taiseux de son malheur d’exister. Et pas question pour lui de cacher ses faiblesses, ses ratages, de ne pas décliner l’insatisfaction permanente dans et de laquelle il apparaît prisonnier. Une poésie qui donne à la banalité (cf. ce qu’en dit Jacques Lèbre dans son article paru dans le n° en cours de la revue Europe) une place de choix, un carrefour où nous pouvons nous croiser, tous, pour peu que notre regard veuille bien s’attentionner.
Disparu prématurément, par désespoir, Julien Bosc nous laisse quelques ouvrages essentiels, hors mode, qui seront là pour conserver sa présence, et aussi bien pour rapporter à chacun sa nue solitude.
Neige d’avril, c’est le nom d’un rosier qui résiste à l’hiver, c’est aussi le titre de ce beau recueil issu d’une saison qui à jamais restera froide.


[…]

silence incomparable des paysages enneigés
souvent silence de mort
silence qui
fascinant
effleure ce souhait claustrée dans le non-dit de l’être
l’infinie plénitude


Jean-Claude Leroy


Julien Bosc, Neige d’avril, éditions Collodion, 60 p., 2023, 12 €.