Jules Vipaldo, “Pauvre Baudelaire”, lu par Murielle Compère-Demarcy


Murielle Compère-Demarcy lit ici cette réédition d’un texte de Jules Vipaldo, relancé par les Éditions les Doigts dans la prose.



Jules Vipaldo, “Pauvre Baudelaire”, éditions Les doigts dans la prose, 2023 (réédition), 144 p., 15€


Ce livre serait-il un OLNI, Objet de Littérature Non Identifié ? Car Pauvre Baudelaire n’est pas tout à fait un livre engagé, ni un pamphlet des temps qui courent dans les couloirs éventés des Marchés de la poésie, ni entièrement une parodie même s’il semble qu’au final le RIRE l’emporte et veuille l’emporter. Est-ce… le rire triomphant des perdants (Cyril Huot) pour reprendre un titre de des éditions Tinbad où Jules Vipaldo a publié deux précédents ouvrages, Le banquet de plafond en 2018 et Sédition en 2021 ? Dans tous les cas, Pauvre Baudelaire, publié par les créatives éditions Les doigts dans la prose avec le soutien du Centre National du Livre (CNL) est relancé par la librairie l’Alinéa de Martigues. Il fait donc l’objet d’une réédition.

Travailler (Poëte, travaille ! lançait la Mère au Poète, nommé Apollinaire ou autres maudits de son espèce…) ; travailler la Langue ; œuvrer à l’ébranlement de la langue normée ou normale ou encore normative (épithète en résonance avec l’adjectif au féminin « coercitive »)… S’exécute ici la forge du Verbe, à la force du poignet de Vipaldo se sentant dans l’urgence de remettre certains points sur les « i » dans ce monde que l’on dit littéraire, surtout lorsque ses couacs ou travers détraquent ou marquent de leur imposture des manipulations, bas faits de manipulateurs du haut Verbe poétique au gré de leur incompétence ou médiocre suffisance qui ne prennent dans leur miroir que les alouettes dont ils complaisent l’envergure pour leur faire croire que le ciel de la célébrité ou de la postérité est à portée de main ou pour demain. D’une Langue qui claque, Vipaldo fait tomber les simulacres !

Que Jules Vipaldo règle ici ses comptes, probablement. Le Jules en question est assez expert en matière de Littérature & autres représentations textuelles (J. Vipaldo en effet confie d’ordinaire au trio En roue libre le soin de représenter et de faire vivre sa langue et ses textes) pour en dénoncer avec brio les leurres et les agiter avec une alacrité et une gourmandise aussi tonitruantes et tonifiantes que la passion du Vipaldo pour la Langue littéraire et la Littérature.

Pauvre Baudelaire de Jules Vipaldo prend sa source du pamphlétaire Pauvre Belgique ! du poète homonyme célèbre grâce entre autres à ses Fleurs du Mal qui firent scandale. Avec d’autres poètes, l’auteur fut invité à lire et présenter son travail à Bruxelles où la rencontre ne fut pas celle qu’il escomptait et lui laissa un goût d’inachevé et d’amertume dans la bouche, dans la tête. Dès lors, un procès fut prémédité avant d’être intenté, par la vertu d’un faux syllogisme, contre toute la Poésie figure allégorique de la Belgique raillée par Baudelaire. C’est ainsi que le livre est à la fois le récit et l’instruction de ce procès parodique, intenté pour de rire, d’un « rire intéRIEUR à la poésie ». Et nous voici retombé sur nos pieds face au RIRE comme seul écho et réponse pertinente et sarcastique à un monde poétique en crise. Le Verbe poétique est bel et bien ici la fine épée perspicace et exquise du Langage dont le livre de Vipaldo ne rend pas seulement visible les ronds dans l’eau mais fend la surface des faux-semblants pour en remuer la vase et faire éclore, pourquoi pas des bas-fonds, un filon inattendu, exploitable à l’infini, signe en or intéRIEUR de richesse.
L’air de rien Vipaldo plante un décor qui nous embarque et nous fait nous empierger dans ses pièges pour nous laisser en extirper le pur de la mélasse bluffante.

Ça pleut et pas qu’un peu. Oui, ça pleut. Ça pleut, tout c’que ça veut. Ça essore de l’extraordinaire. Ça pleut à qui meuh meuh. Ça détrempe tout l’parterre. « C’n’est pas un pays c’est une soupière

Ça rime comme vache qui pisse dans l’ornière-caniveau des apparences mondaines, et ça marche. La Belgique, ici, se fait exutoire propice. Frôlant la drôlerie, l’humour noir ou jaune (guêpier !), Jules Vipaldo ne s’écarte de la route que pour mieux en accentuer l’outrance ambiante outrecuidante et en piquer les troupeaux égarés ou béats puisque… -le sait le comprend qui s’interligne dans les cultuelles espaces de la typographie lettrée-…

la poésie est un long flirt tranquille / avec idéologie dominante ? /, en kit et en kilt : vieillesse des robes et des façons de courtisans. Bassesse des malfaçons : Celle des courts-disants /. «Waterzooï, cornes pleines ! » – crient les cocus de l’écrit. Qu’ils s’aigrissent ou s’aguerrissent, car la pègre (le milieu / commun /) ne fait pas d’cadeaux.

Pauvre Baudelaire de Jules Vipaldo est un pavé dans la mare de la littérature contemporaine rampante ou médiocre et les références ne manquent pas puisque « Qui aime bien châtie bien ». Pour exemple le J’en ris, mi-chaud (Bonus n°1) avec moult évocations, sur le tapis de jeu du Langage, de titres empruntés au poète voyageur Henri Michaux (Un babar en azyme (pour Un barbare en Asie), Le remous nuit (pour La nuit remue) qui, Voyageur en Grande Garabagne, propulsa les mots d’un hémisphère (émotionnel) à l’autre (rationnel) en éprouvant et mettant à l’épreuve d’exercices et de scenarii ou histoires fictives taillées sur la juste démesure, une Littérature singulière qui donne dans le style d’un Cas de  folie circulaire entre Les rêves et la Jambe et celui qui se cherche et se multiplie à l’infini en écrivant Qui je fus… Créateur de textes purement poétiques ou rédacteur de carnets de voyages réels (Écuador, Un barbare en Asie) ou imaginaires (Ailleurs), auteur aussi de récits de ses expériences avec les drogues, auteur de recueils d’aphorismes et de réflexions, Henri Michaux coche un nombre remarquable de cases sur l’échiquier littéraire. Sa présence ici résonne.

La force du livre de Jules Vipaldo est de s’ancrer dans la quotidienneté du poète pour mettre simultanément les doigts dans la prose au risque de faire sauter la baraque à… poètes. Des webmasters de sites littéraires, mais aussi des critiques, des auteurs contemporains… surgissent du « noircissime » 21e siècle à la mi-temps de son potentiel énergétique aléatoire, et leur sublime apparition revue et corrigée astique les surfaces et les recoins de la grande maison littéraire à coups de chiffon roboratif. Ce (remue-)ménage décapant est, pour les authentiques poètes eux-mêmes, auto-cuisant !

Loin du monde tout aussi vibrant, où ne circulent Ni bruit ni fureur, du poète Lucien Suel, Jules Vipaldo nous propulse dans Le Grand Jeu du cosmos mondain poétique où La Comédie humaine joue à visages découverts sa farce escortée d’hypocrisies, de coups bas et de “Me vois-tu me voilà”. La parodie fonctionne en contorsionnant la langue à coups de néologismes, de mots-valises, de verlan, d’écholalies, …de mots en mets succulents et inédits :

Indignations, vitupérations, pétages de glotte, cris d’orfraie pas frais ou d’anime-maux : les vlà qui refoulent du culot / et non du Lucot / ! Refoulent du locutoire ! Ils sont en transe, les imbébéciles. Déroulent des fariboles à trois balles. Se roulent dans la farine. Improvisent une farandole, ces farauds / au point que Tzara bande / !  Tout porte à croire qu’ils ont poétés les plombs. Ils sont oufs et s’défoulent. Ce sont des fadas qui se livrent à des rixes Dada / à la déride Derrida ? /. Et, quand bien même, vous trouveriez qu’ils en font des tonnes pour des thons, les v’là rendus au parox’sismique de la SEXEcitation !

Les farauds de la poésie n’ont qu’à bien se tenir. Quant aux authentiques poètes, ils boiront et liront, forts de leur autodérision revigorante, ce grand bol d’air frais soufflé dans les allées d’un monde artificiel remis ici sur pieds pour que s’ancrent, se fortifient ses racines à l’encre poétique.

Murielle Compère-Demarcy (MCDem.)

Jules Vipaldo, “Pauvre Baudelaire”, éditions Les doigts dans la prose, 2023 (réédition), 144 p., 15€