Cristina Campo, “Le Tigre Absence”, lu par Isabelle Baladine Howald


Isabelle Baladine Howald présente aux lecteurs l’œuvre de Cristina Campo et les poèmes incandescents de ce livre, “Le Tigre Absence”.


 

Cristina Campo, “Le Tigre Absence”, nouvelle édition, traduit de l’italien et présenté par Monique Baccelli, bilingue, Arfuyen, 2023, 132 p. 15€


Celle qui aurait préféré ne pas écrire


Cristina Campo (1923-1977) est à la poésie ce que Simone Weil fut à la philosophie : une étoile filante et incandescente, à la recherche d’une intense spiritualité. Un poème est consacré d’ailleurs à Simone Weil. Cristina Campo n’écrivit que quelques livres mais qui marquèrent les esprits par leur force, leur intransigeance, et par leur beauté tout en tension.
Arfuyen réédite dans la belle collection Neige Le Tigre Absence, traduit et présenté par Monique Bacelli, traductrice de nombreux écrivains italiens.

Le Tigre absence regroupe plusieurs poèmes, peu nombreux, publiés en Italie dans des revues sur une dizaine d’année à partir de la fin des années cinquante. Par ailleurs ont été publiés d’elle La noix d’or à l’Arpenteur, déjà traduits par Monique Baccelli – et Jean-Baptiste Para – en 2006 et Les Impardonnables, en 1992, réédités récemment dans la collection « L’Imaginaire » chez Gallimard.
Du côté de la correspondance, ce sont les Lettres à Mita (L’Arpenteur, 2006) et des Lettres à Maria Zambrano chez De Rouge et de Noir (2023). C’est tout. En quelques livres cette flamme ardente qu’elle avait en elle et était devenue, elle consume tout.
La préface de Monique Baccelli souligne l’ambivalence du geste d’écriture qui est beaucoup plus proche du silence que de l’écriture. Elle ne peut pas faire autrement que d’écrire mais elle aurait préféré ne pas. Ce recueil est de la poésie mais ses autres écrits ne relèvent d’aucun genre précis, nous dit Monique Baccelli. On le sent à l’extrême resserrement des poèmes.
On pense justement en lisant Cristina Campo à Simone Weil par cette brûlure de la foi, cette intransigeance énorme due peut-être à la brièveté de sa vie et à sa maladie cardiaque, et à Emily Dickinson et à François d’Assise par cette élévation des choses qu’elle aussi situe parfois au rang de majuscules, hommage au Soleil et à la Lune, mais plus encore par la densité de ces « poèmes tellement clos en eux-mêmes » (Monique Baccelli), jusqu’à l’énigme, celle par exemple du « Tigre Absence », le poème plus énigmatique  (qui est ce Tigre, quelle est cette Absence ?) et le plus beau.

Cette jeune femme à la santé précaire, d’une beauté stupéfiante avec ce visage tendu, écrit avec une plume de lave rouge sa relation aux choses (les merveilleuses choses rilkéennes) et surtout à la foi et à la liturgie, pour elle sacrée. Elle fit de l’abandon de celle-ci par Vatican II un vrai combat. Sa poésie en porte la trace très blessée. Pour autant rien ne dérange de ce combat, à notre époque nettement désinvestie de ce côté, tellement la hauteur est haute, et les poèmes de toute beauté, qui m’ont également parfois fait penser à Hopkins. Les notes sur la traduction en fin de volume sont très éclairantes sur les nombreuses allusions de Cristina Campo à cette liturgie ou simplement à la religion catholique, qui seraient difficiles à saisir sans ces notes.

Quelque chose d’une trace, « moi dans la terreur des lilas », dans un air qui serait très très chaud s’élève, mais la main est plus chaude encore.

Isabelle Baladine Howald

Cristina Campo, Le Tigre Absence, bilingue, traduit et présenté par Monique Bacelli, coll Neige, Arfuyen, 128 p, 15 € (bravo pour le prix !)

Voir dans l’anthologie permanente de ce jour les deux poèmes choisis par Isabelle Baladine Howald