Joël Cornuault, “En lisant, en rêvant”, lu par Mathieu Jung


Mathieu Jung traverse ici ce journal de bord où s’entremêlent la lecture et la rêverie, notamment avec Gracq et Breton.


 

Joël Cornuault, En lisant en rêvant, Le Temps qu’il fait, 2023, 112 p.,16€


En lisant en rêvant


Avec En lisant en rêvant, Joël Cornuault signe un ouvrage qui, dès le titre, fait ouvertement signe à Julien Gracq (dont les éditions José Corti viennent de faire paraître Nœuds de vie). L’auteur d’En lisant en écrivant est effectivement bien présent dans cet élégant petit livre. Mais Cornuault ne se contente pas de Gracq, puisqu’on trouvera nombre d’autres lectures et commentaires qui, souvent, relèvent de l’éclat ou de la fulgurance.
En lisant en rêvant peut en effet être considéré, de même que Les Grandes soifs parues au Cadran Ligné (2022), comme un journal de bord, mais qui, se méfiant de la temporalité, négligerait de dater les instants qu’il recueille : une sensibilité rêveuse aménage son chemin aussi bien parmi les livres qu’au creux de la vie. Mais on devine bien l’époque, la nôtre, à travers ce journal non daté, comme suspendu dans le temps idéal que Cornuault tâche d’établir : « La vie n’est pas un phénomène d’actualité. Passé, présent, avenir, quand je vis le plus, toutes les dimensions m’habitent et me soulèvent. » Cornuault laisse sédimenter le temps en lui, de sorte à en faire remonter le souvenir. Particulièrement touchantes sont les évocations d’une jeunesse vécue en groupe, entre poésie et philosophie, où une éthique certaine déjà se dessinait : « les formes d’esprit les plus élevées nous deviendraient des armes aussi bien que des boucliers dans l’existence. Permettre aux plus faibles de mettre au point leur propre pensée dans la ‘‘guerre des rêves’’ qu’ils livrent aux plus forts. »
On connaît, au moins depuis André Breton et sa malle d’aurores (Pierre Mainard, 2021), une des figures totémiques ou tutélaires de Cornuault. En lisant en rêvant prolonge cette piste jalonnée de hasards objectifs, laquelle va dans le sens d’un principe-espérance (Ernst Bloch) qui permet une dérive en toute liberté : « Notre goût du plaisir et de l’indépendance restait le guide de nos actes, de nos trajets garants de développement relativement imprévisibles. Ils pouvaient prendre appui sur certaines qualités de la géographie et sur le passé reculé de la région ; sur les hétérodoxies médiévales, avant tout, dont quelques livres perpétuaient la grande légende plus ou moins renouvelée. Elles nous orientèrent vers Albi, Montségur, Toulouse, Carcassonne. » Ajoutons à cela Elisée Reclus, et l’on aura une meilleure vue de la géographie profonde ici à l’œuvre.
William Morris peut croiser Malcolm de Chazal chez Cornuault, dont l’éclectisme est magnétisé par des pôles qui assurent son amplitude au rêve. Chazal, d’ailleurs, est préféré au vide sidéral que procurent les astronomes de la NASA. Au ciel pauvre de maintenant, Cornuault favorise un regard visionnaire, mais l’écoute également des oiseaux, qui subtilement modulent leur chant, pour qui saurait encore l’entendre dans le tohu-bohu du monde.
Ce chant nous invite, ni plus ni moins, à mieux habiter les mots. Il ouvre un espace de rêve vécu dont veut aussi témoigner l’admirable revue de Cornuault, Des Pays Habitables, placée sous le triple signe de la naïveté, de l’utopie et de l’exubérance. Ces trois termes agissent pleinement dans En lisant en rêvant : exubérance des lectures mais aussi de l’expérience poétique (à mieux dire, du rêve et de la vie), utopie obstinément maintenue comme un horizon possible (l’âge d’or reste à venir…), naïveté préservée qui autorise encore quelques immenses découvertes.

Mathieu Jung

 

Joël Cornuault, En lisant en rêvant, Le Temps qu’il fait, 2023, 112 p., 16€