Jean-Claude Leroy introduit ici le lecteur de Poesibao à cette œuvre bilingue, langue d’oc et français, du poète Jean-Pierre Tardif

Jean-Pierre Tardif, Lo vent que parla lo paradis / Le vent qui parle le paradis, Gravures d’Ève Luquet, postface de Jaumes Privat, éditions érès, coll. Po&Psy, 68 p., 2024, 15 €.
« Au bout de tout il y a la poussière, le temps, l’espace qui se creuse, l’espace dans les trous. »
Jaumes Privat, à propos de la poésie de J-P Tardif
Est-ce une voix émiettée, la voix trouée que Jean-Pierre Tardif choisit de nous faire entendre, ou une voix lointaine dont les mots ne parviennent qu’entre des écarts de silence ou de blanc, comme si cette poésie ne savait procéder que par des apparitions de signaux qui, bout à bout, déclineraient le code d’une langue familière, clignotant toutefois comme une clandestine.
Les éléments sont la source de ce souffle et les arbres sont présents comme le roc, l’éclair comme la parole, « le ciel face contre terre » ou encore « le gravier nu ». Le rythme ne cesse d’être sous-tendu par l’omniprésence du cœur, que l’on entend battre et encore battre dans la page, il est la puissance ressassante du temps qui ne se laisse oublier, autant « lumière blanche » qu’« élan pour rien ».
Connaisseur des langues, en particulier les romanes, Jean-Pierre Tardif écrit ses poèmes en langue d’oc. Proche du poète Bernard Manciet, il a longtemps été rédacteur en chef de la revue Oc, on lui doit la découverte ici et les premières traductions en français de l’Italien Federigo Tozzi, ou encore des traductions de Rosalia de Castro, poétesse galicienne. Il a aussi mis en langue d’oc des classiques tels que Leopardi ou Ungaretti, mais aussi le poète contemporain congolais Gabriel Okoundji.
Ce recueil, Le vent qui parle le paradis, paru récemment est bilingue, inscrit dans la collection Po&Psy que dirigent Danièle Faugeras et Pascale Janot chez Érès. Écrit en langue d’oc et donné en français par l’auteur, les deux langues accrochées l’une avec l’autre, le lecteur emprunte d’un regard les deux occurrences.
Le rythme à la fois doux et syncopé que suggèrent les espacements – ou est-ce la vision de la page dans son entier ? – a fait qu’à certains moments j’ai cru voir en cette poésie une mosaïque impressionniste, comme si l’écriture de Tardif transvasait sur la feuille quelque chose comme les Nymphéas de Claude Monet, là où toute réflexion peut renvoyer à soi-même fragmenté, élément d’un tout.
Ce recueil est aussi le lieu d’un dialogue entre les mots de Jean-Pierre Tardif et les gravures d’Ève Luquet, dont la substance souligne parfaitement l’idée de douceur des éléments-signes navigant par bribes dans le flux du vent liquide, autant de griffures bellement assumées et inscrites dans le sable du temps.
SUS LA GRAVA los pès del cèl
SUR LES CAILLOUX les pieds du ciel
una agaitada
un regard
dinc’al muditge
jusqu’à se taire
los puèges
les tertres
contra lo temps
contre le temps
dins la lutz amalida
dans la lumière obstinée
[p. 59]
Jean-Claude Leroy
Jean-Pierre Tardif, Lo vent que parla lo paradis / Le vent qui parle le paradis, Gravures d’Ève Luquet, postface de Jaumes Privat, éditions érès, coll. Po&Psy, 68 p., 2024, 15 €.