Jean-Pascal Dubost, « La reposée du solitaire », lu par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy invite le lecteur de Poesibao à ouvrir le livre de cet « exigeant ouvrier des mots » qu’est Jean-Pascal Dubost.



Jean-Pascal Dubost, La reposée du solitaire, éditions Rehauts, 80 p. 2023, 16 €.


« Je me sens modifié par ce qui vient, l’écriture. »

Exigeant et tenace ouvrier vainqueur des mots (avec les mots), Jean-Pascal Dubost explore, fouaille non seulement les formes du passé comme du présent, mais il se pose en contemporain curieux de cette époque difficile, se frottant volontiers aux questionnements du jour – on l’a vu récemment avec La Pandémiade. Aussi bien porté à l’intime le plus cru qu’à l’extime le plus politique, il tient sa place de poète, l’assumant sur divers fronts. Avec La reposée du solitaire, c’est un peu un des secrets de sa force d’écrire qu’il nous livre, à travers des notes relatives à son espace de retrait, son refuge-domicile qui le tient enfermé dans son devoir d’attention et de travail.

Si Brocéliande a déjà été évoquée dans ses textes, c’est ici plus précisément la maison particulière où il vit, qui apparaît. Sauf moments de chasse ou d’abattage, c’est un lieu absolument silencieux que ce refuge excentré, si l’on excepte en dedans le ronronnement de Grenache, le chat. L’isolement est ici le ressort d’une capacité de créer, on pourrait presque croire qu’il en contient la recette dans son entier. Le reste s’extrairait de l’intérieur de soi, sans se diluer dans le faste de l’urbanité, gardant au contraire sa gravité, son poids de sens comme son charme euphonique.

Hissée sur un tertre, la maison domine la forêt ; arbres, ciel, humus, faune sont totalement là, à pleins yeux et odorat, à pleines oreilles et peau. De quoi inspirer ce projet d’ensauvager la langue qui est celui de Jean-Pascal Dubost.

« Ensauvager la langue est de toute évidence à quoi j’aspire, assavoir revenir d’où ça vient, de silvaticus, qui vit dans la forêt ; qui vit en liberté, non domestiqué, non apprivoisé ; concevoir la phrase ainsi ; des mots échappant au monde civilisé. »

Ensauvager, ce n’est pas une formule-à-effets pour lui, il parle par expérience. Se sentir animal, il l’éprouve là où il est, aux aguets quand « quelque chose [l’] enchante et [le] favorise, et [le] transforme en animal-humain écrivant ». Une fois que, par de multiples approches partagées, le cadre est présenté où, à certains moments, on peut se sentir « puissamment au cœur du cosmos », voici qu’il est question de la question qui importe Jean-Pascal Dubost, une question travaillée auparavant par Jean-Christophe Bailly ou par Jacques Derrida, et d’autres depuis, celle de la proximité avec les animaux, et même du changement de peau, de la transformation possible de soi en direction de l’animal (simple effet de symétrie, pourrait-on dire, non ?), occasion de se rappeler d’un mot employé par Plaute : versipellis, qui indique « ce qui change de peau, se transforme ».

« Mon humanimalité est monstrueusement hybride pour ce qu’en chaque animal je puise une partie même infime de son être pour le transformer en énergie intérieure. »

Outre les animaux de la forêt, jungle de Brocéliande, il est un félin domestique facile à observer, même quand il nous observe, non sans inquiéter au moins un peu. Le chat, bien sûr, Grenache qui fixe quelque chose que lui seul paraît voir autant que percevoir.

«… La rétine du chat est dotée de deux sortes de cellules sensorielles, des bâtonnets et des cônes, les premiers détectent les mouvements, les seconds, les couleurs. Extrêmement développés chez eux, les bâtonnets leur permettent de détecter le plus infime mouvement dans l’espace (de détecter une proie de très loin, ils ont un regard d’aigle), c’est la raison pourquoi certains croient, à tort, que le chat détecte la présence des fantômes. Par moments, je me demande si ce n’est pas pareil pour le poète, qui regarde quelque chose dans le langage, qui bouge imperceptiblement, que seul son œil mental perçoit, qu’il fixe. »

Ajouterais-je incidemment que Jean-Pascal Dubost nous fait l’immense plaisir de ramener internet à sa simple condition d’outil, lui refusant la capitale initiale dont usent les idolâtres inconscients ?
 
Mais le poète voyage quelquefois, au moins pour porter sa parole ou celle des autres, alors il emporte avec lui la forêt (sa forêt ?) afin que l’écriture se puisse toujours. Elle est donc la source marraine et intemporelle des écritures sorties de la plume (comme on dit) de Jean-Pascal Dubost. Brocéliande est son océan, qui le tient en éveil autant qu’il le nourrit.

« L’écriture m’attire vers ce point obscur où elle me précède. Vers quoi j’avance avec l’œil du chat. »

Jean-Claude Leroy

Jean-Pascal Dubost, La reposée du solitaire, éditions Rehauts, 80 p. 2023, 16 €.