Isabelle Baladine Howald lit “Vida”, un livre où Jean-Gabriel Cosculluela explore la « biographie » de son ami Roger Laporte.
Roger Laporte, por la vida
Roger Laporte (1925-2001) est un écrivain d’une immense importance. Dans la lignée de Blanchot, il poursuit à part de tout et de tous une œuvre unique, extrêmement solitaire, dont l’écriture est le seul sujet.
Il est impossible d’ oublier les six « séquences » de Moriendo et son terrible post-scriptum (POL, 1983), cette spirale aspirante vers toute absence de souffle ou d’appui.
Jean-Gabriel Cosculluela lui consacre aujourd’hui Vida (suite pour Roger Laporte), aux éditions Artgo & Cie, collection Au Coin de la Rue de l’Enfer. Un livre d’amitié, écrit sur presque 40 ans (de décembre 1983 à février 2023), qui cherche à explorer la « biographie » chère à Roger Laporte, graphie de l’écriture, graphie de l’écriture comme seule vie possible.
Le bureau de Roger Laporte était presque vide, des crayons de couleur, un bouquet de fleurs, une marionnette de Pierrot.
C’est bouleversant à lire, tant de « nudité ». Les souvenirs affleurent, les regrets, les rires, beaucoup de fleurs, Mozart. J.G. Cosculluela place son livre sous le signe de la lumière. Nombre de citations accompagnent cette écriture qu’on sent touchée, atteinte, fragilisée, au bord de la disparition, comme le biographe Roger Laporte l’était, toujours plus fatigué, voire exténué. « Il faut poursuivre » est repris du « Poursuivre, il le faut » de Roger Laporte, en leitmotiv beckettien (« Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer » que je cite de mémoire, le tournoiement (impossible de ne pas penser à Celan), l’interrogation silencieuse « est-ce toi ? ». Douceur et douleur sont confondues dans la même ligne mi lumineuse mi ombrée.
La fidélité de l’auteur s’égrène sur des années, avec les noms ou les mots des amis, compris dans le texte même de J.G. Cosculluela, écrivains, peintres, photographe, le livre tient à peine, sur vingt ans. D’où cela vient, l’écriture, où va-t-elle ? On ne le sait, il faut juste poursuivre. Belle élégance, le livre se clôt sur plus de deux pages de citations, comme celle-ci, prise au mot dans ce livre :
« Poursuivre. Poursuivre : silencieuse injonction à laquelle plus tard d’autres répondront ».
Il avait raison, ce livre en est la preuve, le biographe disparaît, l’œuvre continue.
Isabelle Baladine Howald
Jean-Gabriel Cosculluela, Vida (suite pour Roger Laporte), Artgo & Cie, collection Au Coin de la Rue de l’Enfer, 2023, 13 €