James Sacré, “De la matière autant que du sens”, lu par Jacques Morin


Jacques Morin explore ici pour Poesibao ce livre de James Sacré écrit en compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch.


 

James Sacré, De la matière autant que du sens, en compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch, Éditions Al Manar, 2023, 86 p., 20€

 

Il faut lire la parenthèse indispensable qui accompagne le titre : (en compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch). Les 6 parties qui composent l’ouvrage reposent avant tout sur l’observation minutieuse des toiles du peintre d’origine marocaine.
Le titre du recueil est typique de James Sacré : tenter d’aller au bout du paradoxe et suivre les ultimes linéaments qui demeureraient tendus malgré tout entre les deux entités opposées.
Dès la première partie il met face à face d’un côté tout le chaos tellurique du tableau et de l’autre de grandes sensualités chaudes et ténébreuses. Il note au passage par deux fois des éléments qui se rejoignent de façon inattendue, et dont il ne fera plus état par la suite : un sentiment de bonheur léger et un peu plus loin : De fragiles endroits de vie heureuse.
Il s’interroge avant tout sur la description et au final la clé de l’énigme pour entrer dans la toile. Il constate après réflexion :

c’est bien quelque chose de figuratif qui impose une orientation à une toile abstraite,

et cette affirmation est capitale pour cheminer d’une façon claire et organisée dans la peinture. Cette indication de la direction à prendre dans la lecture, il l’avait saisie auparavant lorsqu’il écrit :

Il y a ainsi comme deux lignes d’horizon qui désorientent le tableau. Ou qui l’articulent en un jeu de problématiques profondeurs.

Il faut dire, en outre, que James Sacré est évidemment le poète que l’on sait mais aussi un photographe féru de paysages, et ses analyses de toiles le sont généralement en référence aux pays qu’il affectionne et connaît : le Maroc, l’Espagne, ou les États-Unis.
Après s’être intéressé aux masses, c’est l’autre grand aspect de la peinture qui va gouverner la seconde partie « Un désir de paysage » avec ces deux vers importants :

Quand l’image oublie la couleur, le paysage
Continue d’être là, malgré ce qui manque…


qui mène directement au titre de la troisième partie : « Couleurs qui te regardent » avec par exemple

Des tons de chamois clairs et de violets délavés
Légers bleus par endroits


pour suivre après un détour par les gravures de l’artiste, par « Une couleur marocaine » avec certaines intensités de vert, et en particulier :

Le vert le plus donné dans sa couleur verte
Qu’une minuscule mesure émaillée bleue
Avive encore…


et cette chute au bout de la description d’un jardin où l’auteur vient de se restaurer :

…on aimerait
Être cet oiseau qui passe à travers, sans y penser
Ou le bruit d’eau dans la fontaine.


On découvre avec l’auteur pas à pas son intuition solide de tableaux comme si, lecteur, on les avait de même devant nous. Il avoue modestement dans la dernière partie éponyme du titre général : On ne découvre peut-être que des leurres dans une peinture… Et surtout, il achève le volume par cette phrase où se rejoignent tête bêche matière et sens, fermant la boucle :

Me voilà pris dans l’énigme qu’est le geste de peindre en faisant semblant d’échapper à celle du geste d’écrire.

Jacques Morin

James Sacré, De la matière autant que du sens, en compagnie du peintre et graveur Mustapha Belkouch, Éditions Al Manar, 2023, 86 p., 20€


Une belle page consacrée au livre avec des reproductions de tableaux de Mustapha Belkouch sur le site de l’éditeur.