Les éditions L’usage publient un petit opus de Jacques Roubaud, “cent sept plantes”. Pendant cent sept jours ce fut une plante par jour.

Les plantes sont très nombreuses.
Des poèmes composés
Pour quelques-unes, sont posés.
Ils les rendront peut-être heureuses.
3.
L’épinard
Je suis le vert épinard,
Plus vert que le vert canard :
Admirez-moi à Dinard,
S’il pleut à la Saint Médard
Et quarante jours plus tard.
9
La carotte
Le rêve de la carotte,
Autrement dit sa marotte,
C’est de pousser dans le sable,
Plaisir indéfinissable.
31
Le chêne
Le grand chêne frissonne.
Il a peur que l’orage
Passe et le déracine.
Sa tête touche aux cimes,
Mais ses pieds sont au bord
De l’empire des morts.
38
Le sureau
Écrasant bien le fruit
Dont un jus rouge fuit,
J’écris sur mon bureau
A l’encre de sureau.
40
Le chardon bleu des sables
Cette fleur au bord de la mer,
Tremblante dans le vent amer,
Fleur au charme indéfinissable,
C’est le chardon bleu des sables
80
Le fusain
Quand le fusain veut un poème,
Pour l’écrire, il se prend lui-même.
97
La saxifrage
Je suis la saxifrage,
J’ai beaucoup de courage :
Quel que soit le rocher,
J’ose le fracturer.
101
La campanule
La campanule de muraille
Agrippe soleil et mur
Qu’elle déchiffre comme un braille,
Sans même un regard à l’azur.
Jacques Roubaud, cent sept plantes, L’usage, 2022, 56 p., 13€
Sur le site de l’éditeur
Dans Cent sept plantes, Jacques Roubaud compose à la manière de ses deux autres recueils pour enfants, Les Animaux de tout le monde et Les Animaux de personne. La fantaisie du poète s’exerce cette fois-ci à partir du choix d’une plante et de son nom. Ce livre est à envisager dans la perspective de son œuvre actuelle : qui consiste à affirmer sa force de vie, en demeurant en poésie, c’est-à-dire en continuant, jour après jour, à composer. Pendant cent sept jours ce fut une plante par jour. On peut ainsi tout reprendre, depuis l’enfance.
26+1 de ces poèmes sont dédiés aux élèves d’une classe de CM1, en réponse à l’envoi par les enfants de portraits du poète.
En ce premier jour de l’anthologie permanente de l’année 2023, en ce premier jour de la mise en route du Poesibao nouveau, je recopie ce manifeste des éditions l’usage que Poesibao pourrait tout à fait endosser :
« Les Éditions L’Usage publient de la poésie.
Notre nom trouve son origine dans un paragraphe du philosophe viennois Ludwig Wittgenstein :
‘Les mots d’un poète ont le pouvoir de nous transpercer de part en part.
La cause en est liée naturellement à l’usage
que ces mots ont dans notre vie.’
Nous publions des poèmes qui sont susceptibles d’avoir un tel usage dans nos vies – parce qu’ils en ont eu un dans la vie de ceux qui les ont composés.
La poésie a pu être conçue ainsi, comme exercice spirituel : c’est une chose dont nous voulons nous souvenir.
‘Et cela tient aussi à ce que, conformément à cet usage,
nous laissons nos pensées vagabonder
çà et là dans le domaine familier des mots.’ »