Ivar Ch’Vavar répond à Jean-Pascal Dubost


Ivar Ch’Vavar a répondu à la lettre que Jean-Pascal Dubost lui avait adressée. Poesibao est heureuse de publier cette réponse.


Dans le cadre de sa rubrique des « lettres à », Jean-Pascal Dubost avait écrit à Ivar Ch’Vavar à propos de la parution toute récente du livre “Échafaudages dans les Bois”.
Ivar Ch’Vavar lui répond ici en apportant quelques précisions sur le projet.


Amiens, le 6 avril.

Cher Jean-Pascal,

c’est avec une grosse impression de gêne, et tenace, que j’ai publié ce premier volume des Échafaudages dans les bois.
Mais… le deuxième était en préparation, et je savais qu’il serait bien meilleur. En même temps ce travail s’inscrivait dans la suite de Travail du poème et il me paraissait difficile d’escamoter les années (2000-2013) qui avaient suivi la publication de ce livre, et durant lesquelles j’avais écrit Titre, Le Caret, etc.
Au fond les Échafaudages ne sont qu’une longue suite de textes placés dans l’ordre chronologique, sans considération des « thèmes » abordés, et ce qui manquait au premier volume… mon inquiétude s’était fixée sur le ton, je n’aimais ni le ton ni le timbre de ces textes… mais ce qui manquait à ce premier volume, c’était en réalité le lien, un réel enchaînement.
Je crus donner un accès moins ingrat au lecteur en lui servant pour commencer une sorte de tour de piste, trois petits… sketches ? oui, c’est à peu près ça, et, surtout, en demandant à Florence une préface, longue, qui soit une mise en perspective, tâche ingrate dont elle s’est acquittée remarquablement.
Malgré ces précautions, Florence peut en témoigner, je restais très inquiet et mal à l’aise, ce qui se manifestait par les confusions que je faisais continuellement sur le titre du livre : échafaudages dans les arbres, dans les branches, échelonnages, escamotages… tout y passait ! (C’eût été plus simple si j’avais gardé le titre Hourdis, qui ne plaisait pas à l’éditeur – mais est-ce que je n’aurais pas parlé alors, de fourbis et gourbis ?)
Parallèlement, ou perpendiculairement, allez savoir, la publication de ce premier volume fut contrariée (le covid, mais pas que le covid), et il sortit des presses, comme on dit, avec près de quatre ans de retard.
Il ne pouvait s’agir dans mon esprit, au commencement, avec ces Échafaudages, de « correspondance croisée », les lettres des camarades n’étaient pas reprises, tout au plus, pour certaines, un peu longuement citées. J’étais effrayé par la masse de textes que ç’aurait représenté – quel éditeur m’aurait suivi ? – et je restais dans la ligne de Travail du poème, perdant ainsi la chance de donner un peu de liant au livre, comme de me cacher quelque peu derrière les camarades.
Pardon pour ce long préambule.
« Interroger de plus près l’énigme de l’Inspiration ». Je te cite me citant ! Certes je « ramenais » l’Inspiration, avec sa majuscule, pour le plaisir de la provocation, mais en réalité, ce que je voulais regarder de plus près, c’était le « fonctionnement réel de la pensée », selon la formule de Breton, et les années 2010, auxquelles correspond ce premier volume des Échafaudages, ont été celles de mon retour au surréalisme.
Avec cette singularité que je remplaçais l’écriture automatique – dans l’expérience du fonctionnement réel de la pensée – par le recours à une contrainte, forte contrainte, l’arithmonymie ou la justification. Pour mémoire : le vers justifié est fondé sur la longueur millimétrique, l’arithmonyme sur le nombre de mots qu’il contient.
Quand je conviais les camarades au Cercle du Caret, ce n’était certes pas pour ranimer la querelle des phono- et des graphocentristes. Mais pour débattre la question du vers, du vers défini par une contrainte non- rythmique, et de la mise à l’essai d’une profération nouvelle ; car pour moi le seul intérêt d’une sortie du rythme cadencé, tout en instaurant une plus forte contrainte formelle, était de me forcer à inventer une musique nouvelle (ce qui, en passant, te montre que pour moi la poésie est bien écrite pour l’oreille, en tout cas d’abord pour l’oreille).
Comment le vers justifié (ou arithmonyme, mais j’avais abandonné pour ma part ce dernier) pouvait redéfinir complètement la pratique poétique – et c’est bien d’une révolution qu’il s’agissait – je voulais qu’on en parle, il me semblait qu’il fallait au moins en parler.
Je ne cherchais pas tant, comme tu l’écris, « l’assentiment de [mes] pairs » – là j’aurais dit : des camarades ! – qu’une confrontation qui me force à réfléchir avec des personnes plus affûtées intellectuellement que moi, afin qu’apparaisse plus nettement ce qu’apporte – sur tous les plans – le recours à la justification.
Oui, des camarades j’attendais « qu’ils élargissent [mon] champ en renforçant le doute ». Et cela a eu lieu. Le champ de réflexion a été réellement étendu, par exemple la question de la musicalité, celle de l’oralité se sont présentées plus fortement devant nous. Mais chaque approche nouvelle créait une nouvelle inquiétude, qui tenait aussi au fait que je n’étais jamais certain de tout bien comprendre ou d’être vraiment compris ! Malgré tout, ces questions, on s’y intéressait moins que moi – peut-être n’avais-je pas su montrer leur grande importance ? Ou bien j’avais tort, sans doute, de rester à ce point fixé sur elles ? Mais pour moi, la poésie passe presque toute par l’oreille, et la poésie justifiée plus encore, parce qu’elle obéit à une contrainte qui l’oblige à fonder une nouvelle musicalité.
J’en viens à l’instinct poétique. Tu me poses la question brutalement : « Crois-tu à l’instinct poétique ? »
À vrai dire, le mot me gêne, je m’aperçois que je ne l’emploie pas (ou guère).
Je dirais que je crois en l’intuition. Il y a « quelque chose d’occulte au fond de tous (…) quelque chose d’abscons, signifiant fermé et caché » – mais qui se révèle, et dans une évidence telle qu’elle éblouit ; et ne nous dit rien, mais nous donne l’intuition.
« Le travail du poème est un travail de fourmi instinctive », écris-tu. Peut-être… sûrement. Mais on ne travaille pas le poème si on n’en est pas travaillé. Si on n’est pas travaillé par sa possibilité et son impossibilité. Lesquelles nous sont révélées par l’effort, et la patience, mais d’abord par le moment de l’intuition.
Bien sûr il y a en nous un instinct poétique (comme un instinct de mort et un instinct de vie). En nous tous. Il est là parce que c’est à nous que revient de dire l’être. Mais l’instinct ne suffit pas. Il faut l’intuition, le moment d’intelligence encore obscure et informulée, le moment où on entend l’appel. Moment de la vocation.

Ivar