René Welter évoque pour les lecteurs de Poesibao son amitié avec Marcel Migozzi tout récemment disparu (le 17 juillet 2024)
marcel migozzi prélude à la fraternité
si ?
si je n’avais pas écrit aux éditions sud ?
si ma lettre s’était égarée, perdue ?
si les responsables de sud n’avaient pas donné suite à ma demande ?
si le poète n’avait pas répondu à ma première missive ?
si ?
si ?
la série des si ?
le hasard ou la nécessité ? d’aucuns parleraient de destin, de destinée, de providence. mais dieu, s’il a jamais existé, est définitivement mort à la mort de mon grand-père. le « ciel » est vide, à personne.
« parce que c’était lui, parce que c’était moi » ?
comment savoir ?
et finalement : peu importe.
c’était .
non : c’est.
ce sera.
« nous resterons ensemble »
début des années 80. une tresse de barbelés, oubliée sur une plage du nord. un homme qui écrit s’y promène, la découvre, la ramasse et la ramène à la maison pour la confier à un poème.
quelques années plus tard, j’entre dans l’excellente librairie geronimo à metz, fouille dans le rayon bien fourni à l’époque de la poésie, et suis attiré par un recueil publié aux éditions sud, qui vient de remporter le prix jean malrieu. dont le seul nom me rassure. le nom de l’auteur ne me dit rien. mais je l’achète après en avoir parcouru l’un ou l’autre poème. coup de cœur pour cette écriture précise, précieuse. bref, humaine.
en voici celui qui me convainc dès la première lecture et qui m’interpelle d’autant plus que mon premier recueil, publié en 1976 chez pierre jean oswald à paris, porte le titre : le bonheur barbelé
Elle a la noirceur des camps
la tresse de fer barbelé d’hier
que je ramasse sur la dune.
Elle pourrait encore meurtrir les chairs
de ces jeunes campeurs, à genoux
dans les oyats miséreux, qui ont eux aussi
sans le savoir, des souvenirs déjà rayés.
Espace maigre, tout à coup. Le vent
tombe comme une douille vide-
les autres poèmes ne font que renforcer mon admiration, mon envie de découvrir d’autres recueils de ce poète qui parle à mon cœur et ma raison. sans même parler des prises de position poétiques, politiques. après avoir lu et relu ceux que je peux trouver dans le commerce, ne trouvant nulle part l’adresse de l’auteur, internet n’est pas encore arrivé chez nous, je décide d’écrire aux éditions sud, leur demandant de bien vouloir lui transmettre ma gratitude et mon enthousiasme.
quelques semaines plus tard, sans plus m’y attendre, je reçois une lettre qui m’est adressée, d’une écriture fine, légèrement serrée, inconnue : je la retourne pour découvrir l’expéditeur et je n’en crois pas mes yeux : marcel migozzi.
à l’intérieur, sur du papier d’écolier, quadrillé, les premiers mots, le premier recueil comme une main offerte. s’en suivent, étalés sur plus de quarante ans, des rencontres à la farrioule, au thoronet, à antibes, à cannes, ici à dudelange, à l’université lors de lecture « à mots ouverts », des séjours dans le sud et le « nord », où nous avons visité ensemble le camp de concentration du struthof en alsace, bref une amitié sans faille qui débouche au fil du temps en un amour de frère, qui, de lettres en lettres, coups de fil, cartes, recueils échangés, silences partagés, ne cesse, même après tant d’années et malgré la distance géographique, de s’intensifier.si loin, si proche.
me rendant bien compte de l’immense chance que j’ai eue de connaître, d’aimer -oui, le mot est juste- , une des grandes voix -avec un autre ami poète, gaspard hons- de la poésie d’expression française, je mesure chaque jour plus, toutes les circonstances heureuses qu’il a fallu pour rendre possible cette fraternité.
fraternité contagieuse, partagée, avec jamil haddad et d’autres poètes -gaspard hons, emile hemmen, nic klecker, laurent fels, paul mathieu- et peintres , graveurs -serge plagnol, agnès mader, roger bertemes, dacos, mouna iklassy- donnant souvent naissance à des recueils écrits à 4 voire à 6 mains ou plus.
le dernier recueil inédit de marcel migozzi –calligraphies de l’écorce publié de son vivant, une collaboration avec le photographe yann welter-, a été édité récemment sous forme de livre d’artiste aux éditions estuaires
marcel migozzi et yann welter, calligraphies de l’écorce, 2023,12 pages levées à la main rehaussées de 3 photos imprimées sur hahnenmühle, 190g. les 30 exemplaires sont numérotés et signés par le poète et le photographe.
les mêmes éditions vont publier d’ailleurs un hommage à marcel migozzi sous forme d’un livre/recueil, sur papier silberburg levé à la main, avec des illustrations d’agnès mader et de serge plagnol. d’éventuelles contributions sont à adresser à rene.welter@me.com
René Welter