Parfois le feu libère. Même en exposant, il peut être une chance : histoire d’une femme brûlante entre les arbres.
Guerre, nudité, forêt ; ça embras(s)e !
Doit-on présenter ici Héloïse Combes. Chanteuse, romancière, photographe… On pourrait l’accuser d’être touche-à-tout ; mais précisément, elle touche. Et dans ce recueil, elle pique aussi.
L’Ensauvagé, magnifique roman de 2018[1] (déjà!) nous donnait à voir un jeune garçon en rupture de ban(cs scolaires), plus à l’aise dans ses repères forestiers et dans l’amour d’une professeure de piano que dans les emplois du temps du collège.
Avec L’Embrasement des siècles, on a la suite en quelque sorte.
Mais le garçon est là une femme, en rupture de ban(calité du monde). Électrosensible, elle vit en zone blanche dans une forêt des Cévennes et défend son inconfort contre la facilité de nos modes de vie trop peu soucieux de l’environnement.
Deux parties : une première, plus courte, s’intitule « L’or du paon ». C’est comme une genèse, mais un peu plus tard, quand même, que le commencement – même si l’on y fait référence, et que l’on devine que l’enfance n’a pas été épargnée par des loups. Extrait du poème « Dans la forêt » (page 10) :
À quoi bon sauver ce corps ?
Mon âme est restée là-bas,
Captive des pages d’un livre hanté.
Fascinée par les yeux des loups
Elle se refuse à ma sagesse.
On ne va pourtant pas régler des contes.
La deuxième partie, la plus longue, a pour titre « La femme du feu des forêts ». Entre-temps, entre les deux temps d’écriture, de vie, entre deux dimensions temporelles, pourrait-on dire aussi, il y a eu un incendie. Comme une guerre ?
Là, un premier poème s’intitule « Feu ». L’écrivaine se retrouve pour le coup sans abri – plus sauvage encore ? Sa vie – ses poèmes en sont comme un journal – devient plus précaire bien sûr, plus proche de la nature où le feu régénère en plus de détruire, permet de se libérer du poids du passé, ou le conjurer (page 50) :
Le feu a fait le tri
Je m’en remets
À son bon jugement
De « bon jugement », « gentleman » … le feu prend figure de personnage, mais comme d’un autre monde. Il « savait ». Et (pages 50-51) :
Le feu a balayé
Les injustices des siècles
Il m’a poussée dehors nue et terrifiée
Mais digne
Le feu
Qui m’aime
Le feu m’a dit
Voici venu le temps
De la levée des voiles mon amour
En sauvagerie – médiatisée par l’écriture, comme juge de paix – Héloïse Combes trouve un devancier en Christian Bobin (« Christian Sauvage »), dont les lettres aussi ont brûlé dans l’incendie. On en arrive au titre ; l’auteure précise dans son introduction qu’il est là pour des raisons éditoriales. Cependant : pas de légende des siècles, un embrasement, une renonciation : au monde, à une certaine sécularité, jusque dans la disparition donc des lettres du maître (?), décédé un an avant. Dans le dernier poème du recueil, « La chouette », page 136 :
Je n’ai rien eu à régurgiter
Pas même un petit rot
Le texte après « Feu » est « Retour aux fauves ». – Plus nue ? Comme une Spartiate au pancrace, elle rend coup pour coup au confort ; extrait du poème « La tombée des nues » (page 90) :
Ne me plains pas frère anesthésié
J’aime mieux pleurer avec les arbres
Caresser la peau de la terre hérissée d’effroi
Que tâter de ton funeste confort
Mais les poèmes donnent aux coups des allures de caresses ; et l’inverse (poème « La force de plier », page 114) :
Dans un grand lit carré
Jusqu’à la fin du monde
On fera ce qu’on veut
Nous deux cahin-caha
Et c’est pour l’Amour même
Que je roule tambour
Il y a un lien entre la guerre et le sexe. Il n’y a qu’a lire Guerre, de Céline. Le sexe est entre la guerre et la nudité, entre différentes temporalités ; enfance violentée, présent précaire mais embrassé à pleine vérité (dans « Douter de ces histoires », page 108) :
Baise
Mais ne biaise pas
On pourrait continuer… Il y a eu avant cela « La femme-fougère », qui pourrait faire penser à André Dhôtel (cité au début du recueil, publié par le même éditeur…) dont des personnages ont la fâcheuse tendance à se transformer en arbres… Ce poème-là, précisément, est dédié à Georges Lemoine (qui a aussi illustré Dhôtel…), dont de savants dessins entre pointillisme et lavis s’insinuent discrètement dans le recueil. Si cet illustrateur est connu peut-être surtout pour des ouvrages à destination du jeune public, il a illustré trois autres des livres d’Héloïse Combes[2]. Chez elle, la continuité a des allures de rupture, et l’inverse.
L’enfance est présente, on l’a dit, mais piégeuse. Or les pièges ont là des allures de refuges (et l’inverse).
Nils Blanchard
Héloïse Combes, L’embrasement des siècles, Sous le Sceau du Tabellion, octobre 2024, 144 pages, 18 euros.
Extrait de « Vers l’oued » (première partie du recueil, « L’or du paon »), page 37.
Ma mère renversait la théière
Et tu criais : « La sotte ! »
D’une voix d’hirondelle,
Passant sur le malheur de ta fille
Comme on passe un coup de chiffon.
Tu régnais sur une cour
D’infantes tourmentées,
De jeunes serfs aux yeux fous,
D’épagneuls languissants
Et quelque vieux satyre impuissant
Qui depuis le fond du salon
lorgnait les fillettes en fumant la pipe.
Extrait (début) de « La tombée des nues » (deuxième partie du recueil, « La femme du feu des forêts », pages 87-89.
Y a-t-il encore un dieu si
Les gosses des rues
Ne lancent plus vers lui
La neige des trottoirs
(…)
Je vais te dire frère
Tu trembles face à toi-même
Tu vacilles quand tu vois l’ange
Dans le miroir
Tu colmates les brèches de ton jardin
Au cas où quelque myosotis porteur de vérité
Te boufferait les yeux
[1] Éditions Marivole.
[2] Arbres, Forêts ! poèmes et photographies d’Héloïse Combes, dessins de Georges Lemoine, livret d’art, La maison de Clochette ; La petite nageuse du Nil, album jeunesse, Oskar, 2014 ; La sagesse du maître de thé, conte en prose et haïkus, Gallimard, 2015.