Georges Didi-Huberman et la langue infinie de Gershom Scholem


“langue qui se répète, qui scande ses syllabes et ses phrases dans un mouvement qui pourrait ne pas avoir de fin”


Georges Didi-Huberman, Brouillards de peines et de désirs, faits d’affects, 1, Éditions de Minuit, 2023, 544 p., 27€,  

Dans un texte admirable – et d’autant plus impressionnant que son auteur n’avait alors qu’une vingtaine d’années –, Gershom Scholem a défini la plainte biblique, la lamentation, sous l’angle même de sa rythmique : c’est une langue qui se répète, qui scande ses syllabes et ses phrases dans un mouvement qui pourrait ne pas avoir de fin. C’est donc, écrit Scholem, une « langue infinie », plus infinie et plus « profonde » que toute autre langue. Elle ne révèle rien, pourtant. Elle ressasse. Elle n’appelle pas de réponse. « Cette langue est infinie, [car] elle a le caractère infini de la destruction, qui est en quelque sorte l’ultime intensité de ce qui est éteint… » Or l’infinité de cette destruction – cette blessure continuée, capable de ne jamais se reclore – a trouvé une forme : elle se musicalise, se scande, trouve son rythme. La conclusion de Scholem sera qu’un tel rythme, une telle infinité, ne sont autres que les caractéristiques fondamentales de la poésie. Comme si la forme-poème trouvait sa condition native dans la forme-plainte par l’intermédiaire d’une scansion et d’une mélopée : d’une complainte.

Georges Didi-Huberman, Brouillards de peines et de désirs, faits d’affects, 1, Editions de Minuit, 2023, 544 p., 27€,  p. 27.
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