Gary Snyder, “Poème pour les oiseaux”, extraits


Deux grands poèmes, version bilingue, choisis dans le livre Poème pour les oiseaux de Gary Snyder paru au Castor Astral.


 

Gary Snyder, Poème pour les oiseaux, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Christine Masset, édition bilingue, Le Castor Astral, 2023, 144 p., 16€


13
T 36N R 16E S 2525
Brûle. Loin vers l’ouest.
Le côté nord d’une rivière,
             flamme jusqu’aux cimes
Dépouillant une pente —
             dans un autre district,
Sur un autre bassin versant.

De la fumée plus haute que les nuages
Fait rougir le soleil du soir.

Des cumulus, soufflent vers le nord
             de hauts cirrus
Dérivent vers l’est,
             de la fumée
Emplit l’ouest.

Les équipes sont parties,
Et cela ne m’inquiète pas.


13
T 36N R 16E S 25
Is burning. Far to the west.
A north creek side,
             flame to the crowns
Sweeping a hillside bare —
             in another district,
On a different drainage.

Smoke higher than clouds
Turning the late sun red.

Cumulus, blowing north
             high cirrus
Drifting east,
             smoke
Filling the west.

The crews have departed,
And I am not concerned.
(pp. 46 et 47)



15
Pin Lodgepole
            pomme de pin / graine attend le feu
Et ensuite les frêles forêts gris argenté.
            dans le néant
            une pomme de pin tombe
Poursuivie par des écureuils
Quelle folle poursuite ! quelle lutte pour fuir !

Son corps est une silique
Ouverte au vent
« Une silique vide de graine
On n’avait pas rendez-vous ensemble »
            alors toi et moi on doit attendre
Le prochain brasier
Du monde, de l’univers,
Des millions de mondes en flammes
            — oh qu’il en soit ainsi.

Shiva à la fin du kalpa :
Roche-graisse, colline-chair, réduits en air.
Des hommes en embauchent d’autres pour couper les bois
Tuer les serpents, construire des villes, asphalter les champs,
Ils croient en dieu, mais ne peuvent
Croire en leurs propres sens
Encore moins Gautama. Qu’il en soit ainsi.

Le pin dort, le cèdre fendu se redresse
Les fleurs font craquer le bitume.
            Pa-ta Shan-jen
(Un peintre qui a vu la chute de la dynastie Ming)
            Vivait dans un arbre :
« Le pinceau
Peut peindre les montagnes et les ruisseaux
Bien que le territoire soit perdu. »


15
Lodgepole
            cone/seed waits for fire
And then thin forests of silver-gray.
            in the void
            a pine cone falls
Pursued by squirrels
What mad pursuit! what struggle to escape!

Her body a seedpod
Open to the wind
“A seed pod void of seed
We had no meeting together”
            so you and I must wait
Until the next blaze
Of the world, the universe,
Millions of worlds, burning
            — oh let it lie.

Shiva at the end of the kalpa:
Rock-fat, hill-flesh, gone to a whiff:
Men who hire men to cur groves
Kill snakes, build cities, pave fields,
Believe in god, but can’t
Believe their own senses
Let alone Gautama. Let them lie.

Pine sleeps, cedar splits straight
Flowers crack the pavement.
            Pa-ta Shan-jen
(A painter who watched Ming Fall)
            Lived in a tree:
“The brush
May paint the mountains and streams
Though the territory is lost.”
(pp. 50 et 51)


Sur le site du Castor Astral
Publié en 1960, Myths & Texts (Poème pour les oiseaux) a été réédité dans une version révisée, avec une nouvelle introduction par l’auteur. Snyder voit le poète tel un chaman qui agit comme un médium pour les chants qui jaillissent de la terre. Toujours absorbé par les traditions bouddhiste et amérindienne, chinoise et japonaise, il a créé un nouveau genre de poésie, visionnaire, directe, concrète, non romantique et écologique. Ce livre prémonitoire d’une relation intense avec la Terre se place au coeur de sa poésie.

Gary Snyder est né en 1930 à San Francisco. Poète, traducteur, militant anarchiste et écologiste, il est considéré comme l’une des figures majeures de la Beat Generation.
Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont L’Ile-Tortue récompensé par le prix Pulitzer en 1975.
Gary Snyder est l’héritier d’Henry David Thoreau, il est le chaman d’une écologie révolutionnaire où le « sauvage » habite l’écriture. Il est également l’ami de Jim Harrison, de Peter Matthiessen, de Jack Kerouac ou d’Allen Ginsberg avec qui il a acheté des terres dans la Sierra Nevada afin d’appliquer ses concepts de réhabilitation du territoire.