Galina Rymbu, “Tu es l’avenir”, extraits


En lien avec une note de lecture de Jean-Pascal Dubost publiée simultanément dans Poesibao, ces extraits de “Tu es l’avenir”



Galina Rymbu, Tu es l’avenir, traduit du russe par Marina Skalova, éd. Vanloo, 172 p., 18€ + 3€ de frais de port.


Lesbia

Le rêve est fini, Lesbia. Voici le temps du chagrin,
temps de jeter les robes, les bagues dans le festin sanglant
à la mémoire de nos sœurs
faisons tinter nos verres !

o Lesbia, voici le temps de la guerre,
temps d’acheter des armes non létales chez des mecs baraqués,
lames et alènes planquées dans les étuis de mac-book,
et d’avancer, dents serrées, à travers les sombres rangs fascistes.

o Lesbia, ce temps gît serré dans son cercueil,
le crâne éventré, comme celui de sa proie,
et le sang envahit le visage, le regard indifférent.
ta main posée sur ma poitrine, sens-tu battre mon cœur,
sens-tu comme cette nuit nous écrase ?
il est temps de dévaler ivres sur tverskaïa, sur prospekt mira,
sur l’avenue de la paix, la perspective du monde,
et de nous enlacer.

en ces temps l’amour et la politique sont la même chose,
et la police et la haine – sont autre chose.
les cours de combat de rue remplacent les séminaires publics
notre respiration dans le froid se transforme en universités libres
imaginées
et le petit ours olympique est à genoux,
je te vois, Lesbia, rasoir à la main, cheveux emmêlés, regard insensé.

arrête-toi alors – notre cœur survivra !
en regardant les parents dans les yeux, franchissant la cour, franchissant la gifle,
courant, fulgurant, coupant les cordons de flix
en semant des graffitis, des poèmes,
Lesbia, lève-toi ! temps d’entonner un chant de joie,
tout en crachant du sang et des miettes de dents,
le visage caché derrière les mains, lacérant l’asphalte,
tandis que nos frères, nos amis, nos parents
sont en cercle autour de nous et crient : « hop ! hop ! »

je ne sais quels livres il faudrait lire
quelle lutte politique il faudrait mener ici,
entourés d’eux tous qui ne sont ni vivants, ni morts,
ils communient, établissent leur ordre dans le non-être
quand ils passent une bite poisseuse sur des lèvres
derrière une pile de planches dans la cour d’école :
« on va te rééduquer »

cette nuit n’est ni vivante ni morte,
et tu ne connais nulle autre langue,
lève-toi Lesbia ! ça suffit, redresse-toi !
lève-toi, ma bien-aimée, même si tout va vers la mort
et ce festin, glauque et terrible, ces plats à la viande,
ces vers sur les têtes de la « junte noire »,
ces cris, ces frappes, ces manifs, ces sanglots – tout ça pourrira dans l’abîme.

Galina Rymbu, Tu es l’avenir, traduit du russe par Marina Skalova, éd. Vanloo, 172 p., 18€ + 3€ de frais de port. (site de l’éditeur), pp. 124/125) – note de lecture de Jean-Pascal Dubost