Christian Désagulier fait découvrir ici aux lecteurs de Poesibao l’adresse à un frère disparu de cet “aérogramme” de Frédérique Guétat-Liviani

Frédérique Guétat-Liviani, aérogramme, Lanskine, 2023, 96 p., 14€
Camarades,
Qu’un journal de la Presse Quotidienne Régionale rende compte aussi sensiblement du travail d’une écrivaine engagée dans la « Littérature », c’est à dire dans ce qu’il est convenu d’appeler « tout le reste » dont cette presse trop méprisée (la PQR…) ne parle pas ou peu et de façon anecdotique, est louable et c’est merci.
Toutefois, le titre de l’article à connotation nécrologique sensationnelle, Eros et Thanatos font toujours bon ménage, ne rend pas tout à fait justice au livre de Frédérique Guétat-Liviani et par transitivité à l’exposition que la Galerie Olivier Meyer lui a consacré jusqu’au 6 novembre à Nantes.
Le règne végétal et la lutte contre son évanescence s’y trouve tout autant célébrée comme le furent toutes les “Espèces” publié Aux temps des cerises.
Un deuil n’y est pas encadré de noir même si le noir occupe le fond de certains des plans d’évasion de ce monde-ci dont il arrive qu’on éprouve le désir de les mettre en œuvre, compagnons de Terre accompagnés, d’en éprouver la joie de la réussite ne serait-ce que le temps du dessin, résurrection tangible, éphémère, apaisée, ce que l’art permet quand il n’est pas complètement inutile pour les autres, préfigurant notre seconde vie.
Car je lis aérogramme à l’envers, comme des réponses hypothétiques à soi formulées, adressées au frère de Frédérique Guétat-Liviani disparu aux confins indiens il y a longtemps hier, flottant depuis dans une sorte d’Éther, ce fluide mélange de temps et d’espace, entendu au sens médiéval et polysémique du terme, inclus le sens chimique de formule R-O-R’, laquelle substance aurale est capable dans certaine circonstance de nous faire dériver en rêve sur le lit d’un Léthé dont le courant nous rapproche du ponton de la berge d’en face, du crépuscule à l’aurore.
Ainsi font font font parfois des mots ET des images dans un certain ordre assemblées au réveil, au rêve éveillé, les portes d’ivoire et de corne silencieusement claquées derrière soi sitôt que les yeux s’entrouvrent, interrompant un rêve récurrent pour le prolonger les yeux grands ouverts, leurs liaisons poétiques covalentes rétablies comme Frédérique Guétat-Liviani sait les formuler et les dessiner.
Car c’est la sœur qui a décidé d’entrer dans les arts pour adresser des poégrammes à son frère, lesquels ne sont pas des faire-part de deuil, l’expression d’une affliction irrémédiable, mais de retourner en faits palpables ce manque qui n’en finirait pas et dépeuplerait tout, retenu que cet être énigmatique serait avec son mystère dans des limbes intangibles, mais d’explorer fut-ce à tâtons son système limbique à elle, prêtant ainsi corps et âme, signifiant et signifié, à son frère où celui-ci ne ferait plus de la figuration comme dans le film Camarades de Marin Karmitz (1970) mais tiendrait le premier rôle de sa vie.
N’en sommes-nous pas tous là, plaqués de force au sol, dont les êtres, végétaux, animaux, humains comme les livres et les œuvres de l’art qui nous sont chers seraient des bras tendus formant les rayons d’une roue qui nous sauveraient de la vie centrifuge, une roue au moyeu de mains, dont les mots et crayons de couleurs de Frédérique Guétat-Liviani comme on peut lire et regarder dans la Galerie d’Olivier Meyer, le lire et le regarder étant consubstantiels dans son travail quotidien et urgent, contribueraient à la tension d’équilibre des rayons de la roue, à en ôter le voile ?
Christian Désagulier
Frédérique Guétat-Liviani, aérogramme, Lanskine, 2023, 96 p., 14€