Jacques Josse, « Postier posté », lu par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy fait découvrir ici le livre singulier de Jacques Josse, « Postier posté », qui évoque sa vie de travailleur nocturne.



Jacques Josse, Postier posté, Folle Avoine, 2023, 40 p., 15 €.


En quelques décennies d’écriture, Jacques Josse a déroulé méticuleusement des pans de son univers sombre et fraternel, répondant toujours aux appels de minuscules destinées, chacune d’entre elles, le temps d’un regard bienveillant et partagé, étant traitée avec un infini respect. Pas de fausse modestie chez cet auteur, mais une réelle empathie envers les égarés sédentaires attachés au comptoir des ombres, les simples et récurrents personnages d’un manège des oubliés.
Cependant, Jacques Josse n’avait pas jusqu’alors, ou à peine, laissé filtrer des mots concernant son monde du travail à lui, celui dans lequel il a précisément évolué, en tant que postier dans un centre de tri. Et le texte fantôme qui regroupait des lambeaux de mémoire relatifs à cet emploi obligé, à cette vie nocturne et laborieuse au service du lien épistolaire, il nous arrive aujourd’hui dans un bel emballage dû à l’éditeur-artisan (et poète !) Yves Prié. C’est initialement la revue Travers, dont on se souvient des superbes numéros parus dans les années 1990 et 2000, qui devait le publier, mais les choses ont tourné autrement, et ce Postier posté, s’il a été différé, n’en est pas moins sujet à la ponctualité – celle de l’écriture, par exemple, qui ne saurait se décaler de son propos.

En effet, on trouve ici, dans ces lignes ciselées, le quotidien récurrent du travailleur de la nuit, posté quelque part dans la grande banlieue ouest, à Trappes, en lisière d’une ville nouvelle en construction. L’ambiance ouvrière, le déroulé des actions qui sont des tâches, la solidarité de classe, sont racontés ici sans fioritures, car il semble que Jacques Josse n’ajoute jamais rien à sa mémoire, il n’est pas digresseur, ni même conteur, mais témoin solitaire et franchement camarade.

D’une vacation minutée, il extrait le rythme, le décor, le travail rendu : « Gestes simples et répétés. On trie cinq cents lettres au quart d’heure. C’est le minimum requis. » Et aussi le mouvement intérieur qui doit s’accommoder des contraintes, attendre son heure pour, lors d’une pause, « lire, par fragments, assis contre les sacs, dans la poussière et le brouhaha, clopant en aspirant de longues bouffées et en sirotant un gobelet de café noir, Papier d’identité et L’Apprenti foudroyé, les recueils de Franck Venaille dénichés à la librairie La joie de lire, rue Saint-Séverin, dans le cinquième arrondissement, où je fais de fréquentes haltes. » Ainsi se tisse les heures laborieuses, entre l’effectuation des tâches et la passion de lire, découvrir, absorber les mots, parcelles d’univers.
D’ailleurs, il n’est pas si seul, certains de ses camarades connaissent la même passion, Jeannot, par exemple, qui partage volontiers ses goûts littéraires et parfois les impose. De cet écrivain, qui n’est pas cité, il dit qu’il tord « bien sèchement les draps de la langue pour que coule enfin le jus noir d’une vie récalcitrante mais totalement assumée. »
On le comprend, un livre de Jacques Josse ne saurait ne pas confier à son lecteur les noms de quelques poètes dont il faudra se saisir après les avoir découverts ou redécouverts. Tout en nous ouvrant sur des séances répétées de routinier labeur, l’auteur de Postier posté nous convie dans des espaces moins solides, mais tellement plus libérateurs, en présence de poètes tels qu’Alain Jégou, Michel Merlen, ou encore les Américains John Fante et Charles Bukowski, sans parler des compagnons beat. Ou encore, deux autres postiers, Alain Malherbe, et le vétéran Jules Mougin dont le fac-similé d’une lettre adressé à Jacques Josse est ici joint au livre, de la plus belle façon.

Le monde en devenir qui entoure ce centre de tri semble là pour indiquer la manière dont devra se fondre un service public pourtant bien établi, jusqu’à devenir, en quelque temps, un service privé. De ce point de vue, « …les luttes incessantes, les braseros devant la grille d’entrée, les piquets de grève salvateurs, les coups de gueule, les coups de poings. » n’auront servi à rien, qu’à vivre mieux le présent. Tout de même.

« À six heures, vacation terminée, je sors et marche seul en empruntant les bas-côtés d’une route presque déserte. La zone ressemble à un no man’s land troué, bosselé, dédié aux lapins et aux chats sauvages, à peine éclairé, où ne surgissent que quelques usines délimitées par des clôtures et des grillages. Chaque entrée munie d’un sas de sécurité, est gardée par un type à casquette qui glande devant son portail en crachotant dans un talkie-walkie. »
Le livre est ponctué d’un hors-texte et de timbres-vignettes créés par le peintre Georges Le Bayon, beaux pastels à l’huile qui introduisent avec éclat les différents chapitres. Les couleurs de la Poste, le jaune et le bleu, prévalent dans ces improvisations abstraites qui peuvent évoquer, si l’on veut, le vent, la force des courants, le lien qui unit la nature.

Jean-Claude Leroy

Jacques Josse, Postier posté, Folle Avoine, 2023, 40 p., 15 €.