Françoise Clédat, « Les Parentés inhumaines », extraits


Françoise Clédat publie aux éditions Tarabuste un livre impressionnant, une confrontation très directe avec la mort, précis scientifique et poétique.


 

Françoise Clédat, « Les Parentés inhumaines », Tarabuste, 2023, 136 p., 15€


Vous que j’ai perdus n’avez durée
que mémoire
par autres mémoires relayée
S’éteignant
éteignent ce qui de vous fut

Que sais-je de ma trisaïeule
archives de papier — si elles existent
quand nulle oeuvre d’exception —
état civil mariage enfantements
jalons sans images ni affects
Et moins encore

Des innombrables qui précèdent
fins
que plus nulle matière ne rédime
hors la savoir native
insensée d’autre en autre s’altère
d’autre en autre
morte
ne meurt

Métamorphique infinitude
ma fin carcinommée
d’alter en alter m’apparente
— animalisation
végétalisation
squelettisation —
sa grouillante positivité de
nourrice nutritive
— toute substance molle gloutonnée —
bondit ultime
vers la fractalité
où s’illimite
— émanation de ce qui fut vous
de ce qui fut moi —
l’oubli de nos durées perdues
(p. 82)

*

Bonheur
du bonheur d’
écrire n’avoir rien
désiré d’
autre
dans l’
ordre de l’
être du faire dans l’
ordre du métier
par quoi l’
acte
— tous les actes de vivre — s’
augmente
trouve sens

Ce qu’
il advient — du bonheur du désir —
quand l’
acte de vivre devient
survivre à l’
acte d’écrire Ce qu’
il advient
quand vieillir s’
entérine
exclusive nouveauté

quand écrire
qui est l’
antithèse de vieillir
ne se peut plus qu’
avec vieillir
traquer
dans vieillir la nouveauté

reste
écrire
envers et contre l’
écrire obstinément
(pp. 84-85)

*

La matière est mémoire
Et nous vivant sommes mémoire
de la matière que nous sommes
Mémoire insue sans images ni affects
accouplée à la mémoire que je dis immatérielle
neuronale imageante
productrice
conservatrice de tant d’images affectantes
tandis que je dis matérielle — de la matière —
celle qui
allègre — franchissant les métamorphoses animales et
végétales
du devenir cadavre —
(in)conçoit inhumaine parenté
un devenir minéral
lignage du vivant au non vivant
(in)expérience d’altérité absolue
une imagerie poétique toute dédiée à l’inimaginable
absence d’image
où verse la mort
immense raisonné arrachement à la figuration
que reconfigure au-delà d’elle
contre-intuitive naissance
l’aube cosmique

En cet irreprésentable pari
éprouver parentes
quête quantique et poésie
(p. 93)

Françoise Clédat, Les Parentés inhumaines, Tarabuste, 2023, 136 p., 15€