Isabelle Baladine Howald traverse ici pour Poesibao cette “Saison des mousses”, livre de Fabienne Raphoz, de la bien-nommée collection Biophilia.
Fabienne Raphoz, La Saison des mousses, Corti, coll Biophilia, 2023, 140 p, 17,50€
« Entrer en nature »
Le charme, ce qui s’entremêle dans les chants, les regards, les pensées, les rêves.
Le charme de tout ce qui nous appelle, nous retient, nous sollicite de la façon la plus ténue à la manière la plus frappante.
Lors d’une promenade, l’air frais, un bruissement d’ailes, un pépiement (quel mot correspondrait mieux à ce tout petit chant bas …), une mousse très douce, un insecte qui se hâte, un petit animal roux de branche en branche.
Ce qui est menacé, nous le savons, dorénavant.
Que l’humain ne soit qu’un maillon dans les multiples manifestations de vie, nous en sommes de plus en plus conscients.
Dans nature, il y a : autre. Il ne s’agit pas de réduire l’humain, de fantasmer une altérité supposée, il s’agit juste de ne pas nous prendre pour des dieux dans un monde où la nature est un équilibre sans quel nous ne pouvons exister longtemps.
La collection Biophilia chez Corti a quelques années et est entièrement consacrée à la nature, au merveilleux de la nature, à sa fragilité.
Elle publie ces jours-ci La saison des mousses de Fabienne Raphoz, longtemps éditrice, toujours poète et naturaliste, compétence qu’elle pratique à un niveau élevé même si elle s’en défend. Cette spécialiste des oiseaux qui se définit comme ornithophile plutôt que comme ornithologue, a déjà publié plusieurs recueils de poèmes chez Héros-limite, Terre-sentinelle, Blanche Baleine, Ce qui reste de nous, et Parce que l’oiseau chez Corti dans cette collection Biophilia. Mais Fabienne Raphoz différencie-t-elle au fond ces genres ?
Elle propose ici des promenades réfléchies au charme infini.
Elle écrit « je m’approche ». Et on l’imagine s’approcher, d’une fleur, d’un insecte, d’un arbre, d’un écureuil, d’un papillon, d’un d’oiseau. La réciproque est peut-être vraie aussi, « je revendique une forme de relation » dit-elle dans un entretien avec Laura Pauwells, je pense ici au vol erratique et gracieux d’un papillon, vanesse, vanessa, vulcain, « simple apparition » dit-elle, dans un jardin, autour de nous, nous touchant presque, nous voyant sûrement et nous laissant figés sur place, émerveillés.
Elle parle du « montage » de ses livres comme on peut le dire d’un film, « le tournage en cours étant une autre traduction de « je vis ». » Elle dit encore : « ils ont là, ils sont là, pour quelques temps encore, tout autour comme en moi », ceux qu’il faut aimer qu’on les trouve beaux comme les oiseaux ou qu’ils nous soient moins sympathiques – les araignées. L’araignée, ici une pisaure – j’ai déjà appris quelque chose – est « un oiseau comme tout le monde». Comme tout le monde !
M’enchante soudain l’idée que je puisse être un oiseau. Un pas est encore à faire quant à l’araignée…
Avec cette pisaure, Fabienne Raphoz nous indique que quelque chose, une petite chose mais avec elle un monde, fait signe, que nous n’avions pas vu « avant pisaure », quelque chose qu’à présent nous ne pouvons plus ignorer.
Ainsi ceux qu’elle croise forment une sorte de « famille » comme on peut le dire aussi de ses lectures et permet également de renouer avec l’enfance.
Elle est le « témoin » de ce qu’elle appelle avec gaité – ce livre est plein de gai savoir – et tendresse les « non-nous ».
« Du terrain au poème, du poème au terrain, il s’agit donc de sentir et de comprendre « l’imagination du réel » telle qu’elle prend forme en nous et dans les vies qui nous entourent. ». Être un poète et être attentif au monde sont une seule et même chose, le poème en donne une « forme » à l’expression de l’intériorité d’un être à l’écoute des autres mais aussi à soi, à son enfance, à tous les échos des uns et des autres.
Il y a des encyclopédistes, des scientifiques et des poètes dans ce livre, comme Emily Dickinson l’amoureuse des oiseaux, « la troglodyte d’Amherst » (troglodyte outre de désigner celui qui vit dans des grottes est aussi le nom d’un oiseau), de la Robin du printemps en particulier dont le chant « éclipserait le chant même de la poète ». Ce passage sur Dickinson est littéralement aérien, et explore la conscience de la fragilité de la vie, via la passagère Emily, dont l’angoisse est celle-ci, nous dit Fabienne Raphoz : « vais-je survivre « au » printemps », et, « vais-je survivre « jusqu’au » printemps ». Ici Dickinson lue par Raphoz renverse et interprète la situation : Emily risque de mourir bien avant son oiseau, la Robin. L’humain peut mourir avant les animaux, nous ne sommes pas moins en danger qu’eux. Pourtant, pour chanter, il faut une force aussi grande que celle dans la gorge de l’oiseau, « je continuerai de chanter » écrit Emily. Il y a aussi les promenades de Gracq, Stifter – voir aussi ses incroyables peintures de paysage -, Nabokov, William Carlos Williams, Reznikoff, Muir, Jünger ou Handke, Hocquard, Bouquet etc. Le poème n’est pas différemment écrit que le paysage n’est arpenté et il n’est pas écrit seul.
Les paysages changent par l’effet du remembrement, cette chose et ce mot complètements idiots. Tombent les murets abritant insectes, fleurs de campagne et petits mammifères, tombent les arbustes accueillant papillons et ronces mêlées, le paysage se tait, la terre s’assèche et change de couleur. Tout « ce lieu commun » périt. Il ne restera que ce que Fabienne Raphoz appelle ailleurs l’anthropophonie, les bruits de l’homme exclusivement (« chiens compris », ajoute-t-elle !)
Fabienne Raphoz sait que les racines peuvent faire renaître les « églantiers, des cornouillers, des prunelliers, les ronces » mais à quel prix. Une « tristesse-frontière » la saisit.
On peut dire que la partie finale du texte, « les étoiles du texte, références et digressions » est consacrée aux écrivains, poètes, naturalistes, qui accompagnent le livre. Sous son apparence promeneuse, le livre est « monté » avec tout ce qui est vu, entendu, constaté et lu. Cette partie est très belle. Elle dit non seulement combien nous n’écrivons pas sans les autres écrivains, mais aussi que les livres précédents ou contemporains nous accompagnent dans notre faculté de rêver autant que de juger. Imagination est ici un maître-mot, et même imaginer le réel, ce qui semble paradoxal mais ouvre des horizons insoupçonnés, et un avenir possible.
Héritière d’une tradition poétique américaine, citons les grands comme Thoreau ou Muir, mais aussi Rachel Carson, Rachel Blau-Duplessis et surtout Lorine Niedecker à l’instar de laquelle, Fabienne Raphoz « condense » poésie et nature, elle cherchet à travers ses observations mais aussi par son rapport aux contes et au merveilleux, à trouver une langue et des sons qui ont été perdus. Cette langue à élaborer, c’est « le boulot de la poésie » », dit-elle dans un entretien, avec son franc parler plein de vie qu’on retrouve dans ce livre.
Il y est finalement très peu question de mousses mais de vie, d’amour et d’ailes.
Je repense à une phrase de Dominique Fourcade : « ne pas faire taire un qui chantonne est un règle de vie. » Nous sommes quelques-uns à l’avoir faite nôtre, il peut s’agir de toutes sortes de chants, y compris ceux des enfants qui jouent tout seuls en chantonnant. Celui que nous étions continue son pépiement en nous.
Isabelle Baladine Howald
Fabienne Raphoz, La Saison des mousses, Corti, coll Biophilia, 2023, 140 p, 17,50€
Entretien cité : Fabienne Raphoz-Laura Pauwels
extraits du livre :
« … aimer le vivant, avoir, donc, une relation biophilique au monde est une histoire qui n’a de fin que l’existence même du témoin. Pour le dire autrement, aimer l’oiseau c’est aimer l’araignée. La formule n’est pas qu’une figure de style, car c’est d’elle, pour de vrai, dont il sera question aujourd’hui, précisément pour apprendre à la connaître mieux, avancer avec elle dans un va-et-vient de « premières fois » dans un mouvement ancien. : l’amitié du témoin.
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Stéphane me disait aussi qu’il avait acheté la correspondance de Rilke et Lou Andréas-Salomé pour être tombé par hasard sur une phrase : « j’espère que ma lettre d’hier n’a pas tué trop d’écureuils ».
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Savoir n’affaiblit pas le plaisir, savoir aurait plutôt tendance à l’intensifier, à susciter l’imaginaire qui me manque…
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c’était en 1969, autant dire un siècle, quand écrire, oiseau, nature, ou fleur, faisait ricaner tous les hérauts de la post-modernité…
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il me semble qu’entrer en nature, c’est (re)faire l’expérience d’une évidence, sorte de symbiose avec ce qui nous entoure et que nous ne saurons être en dehors de cette nature qui comprend tous les éléments, l’air qu’on respire, l’eau dont le vivant provient, la terre et son inscription dans l’univers, c’est faire le constat tout simple, tout bête, d’une tautologie, j’existe. J’existe sous entendant, je suis vivant parmi les vivants et les éléments qui permettent que je vive, tout cela qui est la nature. »