Esther Tellermann, « Votre écorce », lu par Didier Cahen


Didier Cahen parcourt ici pour Poesibao les pages du dernier livre paru d’Esther Tellermann, « Votre écorce » (à La Lettre volée)



Esther Tellermann, Votre écorce, La Lettre Volée, 2023, 104 p, 17€


Peut-être…

Dans sa belle évidence, le nouveau livre d’Esther Tellermann, écrit il y a quelques années, semble toutefois ignorer le temps ; son écriture nous parle en suivant les sillons de « l’Histoire calcinée ». De fait, tout commence avant le jour, en une suite improbable d’« Eternité à coudre »[i] ou comme l’autre versant de «Première version du monde »[ii] . « Vous arriviez/au bord de la saison/je ne savais pas/si le corps/s’interpose. Nous refaisions/la sève/inventions des demeures (…) ». Je, vous et nous s’appellent et se répondent pour mieux nommer la déchirure et la réparation. Les pronoms anticipent toute conjugaison pour embrasser le corps et le cœur avant leur devenir humain, toucher sans doute à l’introuvable écorce … ou à une écorchure. Comme toujours dans les livres d’Esther Tellermann, le récit se devine et se dessine, mais il s’écrit d’abord avec des mains blanchies, nettoyées des scories de l’ici et du maintenant. Et, comme jamais, la lettre est bel et bien débarrassée de toute charge littéraire donc de tout bavardage. « Soudain midi/s’avance/éblouit/le tranchant de la voix./Que serait/habiter l’aire/d’une enfance/que force le noir ? » « Là-bas », en ce non-lieu de l’être et du néant, le temps s’étire et se rétracte… Là-bas, dans l’univers du livre, Esther Tellermann laisse les mots, les phrases, les syllabes exposés noir sur blanc dans les tissus de l’ombre, comme s’ils couvraient ainsi la nudité de la langue ; plus de grammaire en tant que telle, plus d’orthodoxie des chemins mais un frayage intempestif et hautement modulé, où le poème trouve de nouvelles ressources pour dialoguer avec les mots rendus à leur vérité propre, celle de la bouche qui s’ouvre avant son premier souffle : « Je me souviens/notre rencontre/fut un angle/ aveugle/parfois je/vous disais/suivre le contour/des océans/vouloir étreindre/le soleil. » Que dire ? Qu’entendre alors ? Une parole libre mais adressée, une parole silencieuse mais parfaitement audible ; une non-parole qui tient à la charnière du rien, comme pour ouvrir à d’autres espérances en nous laissant, peut-être, le mot de la fin : « Puisque la distance/est devant/emplit les interstices/du secret et de/l’amertume/peut-être nous/pourrions encore suivre/la courbe/prendre au mot/la matière/qui devient ? ».

Didier Cahen

Esther Tellermann, Votre écorce, La Lettre Volée, 2023, 104 p, 17€

[i] Eternité à coudre, Edition Unes, 2016
[ii] Première version du monde, Edition Unes, 2018