Entretien avec Laurent Margantin autour de « La Revue géopoétique internationale »


Le numéro 1 de La Revue Géopoétique Internationale est récemment paru et Poesibao, pour en savoir plus, interroge Laurent Margantin.


Entretien avec Laurent Margantin,
autour de la création de la Revue géopoétique internationale.




Florence Trocmé : Vous venez de faire paraître le premier numéro annuel de la Revue géopoétique internationale. Qu’est ce qui a suscité en vous l’idée de cette nouvelle revue ?

Laurent Margantin : Pour pouvoir répondre à cette question, je dois d’abord faire un petit retour en arrière concernant la géopoétique et mon propre parcours. Kenneth White a créé, en 1990, les Cahiers de géopoétique. J’ai fait partie des premiers lecteurs de cette revue. J’étais étudiant à l’époque, et j’avais découvert avec ferveur la poésie, les essais et les récits de Kenneth White quelques années plus tôt. Avec les Cahiers de géopoétique, White essayait d’ouvrir un nouvel espace culturel ouvert au monde. Je me souviens d’avoir reçu le deuxième numéro des Cahiers de géopoétique quand j’étais en train d’effectuer mon service civil d’objecteur de conscience sur le Larzac, avec un petit mot de l’écrivain qui suivait mon parcours. Dans le troisième numéro, il y avait un article sur Novalis et la poétique de la terre, et c’est justement à la question des sciences chez Novalis que je voulais consacrer de prochaines recherches en Allemagne. Quelques années plus tard, vivant à Tübingen, j’ai envoyé un ensemble de poèmes à Kenneth White, et il les a publiés dans le cinquième numéro des Cahiers. Il m’a aussi proposé de traduire un texte de Goethe sur la botanique. J’ai aussi contribué au sixième et dernier numéro, avec un récit consacré à Goethe.
Les Cahiers de géopoétique ont paru entre 1990 et 2008. Je sais que chaque numéro demandait un énorme travail : un éditeur suisse avait d’abord publié la revue, avec en couverture la reproduction d’une magnifique carte d’Albertin de Viga datant de 1409, et sur papier glacé. C’était, en soi, un très bel objet, et je me souviens du plaisir éprouvé quand j’ai découvert le premier numéro. Mais assez vite, les Cahiers n’ont plus été édités en Suisse, et Marie-Claude White – la femme de Kenneth – a pris cela en charge, ce qui n’a pas été facile. Après six numéros, la revue a cessé de paraître, et de nombreux lecteurs comme moi l’ont regretté.
En août 2023, Kenneth White est décédé, et je me suis replongé dans son œuvre dont je continuais à suivre l’évolution depuis la Réunion. Je reviendrai là-dessus, mais j’ai toujours senti qu’en publiant mes textes dans les Cahiers de géopoétique, mais aussi dans un numéro spécial de Poésie 98 sur la géopoétique, Kenneth White m’avait embarqué dans une aventure collective, et aussi légué quelque chose. C’est sans doute pour reprendre et poursuivre cette aventure collective et élucider ce legs que j’ai désiré créer la Revue géopoétique internationale. C’est aussi une forme d’hommage à l’homme et à sa pensée. Il y a donc un lien assumé.


F.T. : Quelle approche éditoriale et quel mode de fonctionnement avez-vous choisi de suivre pour cette revue ?

L.M : Un mot d’abord sur un aspect important par rapport aux Cahiers de géopoétique : j’ai pointé le fait que, si ceux-ci avaient cessé de paraître, c’était en raison d’une certaine lourdeur dans le mode de fabrication et de diffusion. Peu à peu, la réalisation d’une revue était devenue trop astreignante et prenait trop de temps. Mais c’était aussi un formidable vecteur pour pousser plus loin cette expérience collective qu’était la géopoétique. En quinze ans, de nouveaux outils d’auto-édition sont apparus sur Internet, j’ai donc décidé de recourir à l’impression à la demande pour ne pas avoir à gérer de stocks et à m’occuper de la diffusion. La mise en page de la revue et la composition de la couverture sont assez simples à réaliser, ce qui rend possible une parution annuelle, chaque automne. En fin de compte, c’est un peu comme si on reprenait les choses en 2008. La parenthèse des seize années sans revue est fermée.
Le sommaire du premier numéro a été composé à la suite d’échanges avec plusieurs auteurs connaissant l’œuvre-vie de Kenneth White et dont la sensibilité propre les rapprochait de la géopoétique. Parmi eux, Benjamin Guérin, qui questionne justement le rapport géopoétique au monde sur un mode très personnel, à partir de sa propre expérience. Lucien Suel, poète que je connais depuis longtemps et dont j’estime beaucoup l’œuvre et le rapport à l’existence, a contribué à la revue avec son « journal jardin » que je connaissais via les réseaux sociaux où il publie ce journal régulièrement. Dans un jardin que l’on cultive soi-même peut naître une expérience poétique ouverte au monde entier, c’est ce qui me touche chez Lucien Suel. Michel X-Côté joint l’écriture poétique au dessin dans son exploration de la terre, tandis que Karine Miermont se plonge dans une observation de la vie animale se caractérisant par des passages et des fulgurances. Le poète Auxeméry a traduit des poèmes de Gary Snyder, théoricien de la « pratique sauvage » sur lequel White a écrit un petit livre essentiel. En ce qui me concerne, j’ai voulu revenir sur la géopoétique telle que définie par White lui-même et je me suis replongé dans ses essais ouvrant cet espace de vie et de pensée.
À propos de la revue, je ne sais pas si on peut parler de « mode de fonctionnement », je crois plutôt que la revue et toute revue devrait être basée sur un dialogue permanent entre ses auteurs et celui ou celle qui réalise la revue. Je pense surtout que la Revue géopoétique internationale doit laisser une large place à la poésie, ce qui est le cas dans ce premier numéro avec des poèmes de Gary Snyder, Antoine Maine, Auxeméry, Michel X Côté, Nathalie Riera, Karine Miermont et de moi-même. La réflexion théorique n’est pas absente de la revue, mais une revue littéraire n’est pas un colloque où des spécialistes manient des concepts sans s’engager corps et âme. La théorie ne doit pas être séparée d’une pratique, d’une expérience.
Je tiens à souligner l’importance à mes yeux de la présence d’autrices contemporaines, ce qui n’était pas du tout le cas dans les Cahiers de géopoétique, aux sommaires très masculins…


F.T. : Quand on lit ce premier numéro, on est frappé par les noms cités, et tout particulièrement par celui de Kenneth White (disparu en août 2023) qui est présent dans la plupart des contributions. Quel lien avez-vous eu avec lui, important sans doute étant donné que vous essayez de faire vivre son héritage et son idée de géopoétique ? Pouvez-vous d’ailleurs nous redire ce qu’il, ce que vous, entendez par là ?

L.M. : J’ai découvert Kenneth White très jeune, à dix-neuf ans. Je vivais à la périphérie de Paris, dans une chambre lugubre (il y avait des scellés sur la porte de la chambre d’à côté, le voisin âgé venait de mourir). C’était l’hiver, j’avais commencé des études de lettres à la Sorbonne, je lisais les surréalistes et Henri Michaux, et je passais beaucoup de temps à marcher dans Paris, par goût de l’errance et aussi pour repousser le moment où je reviendrai dans la chambre (je me souviens que dans le bâtiment d’en face, il y avait une longue fissure que je contemplais matin et soir). C’est vers la fin de l’hiver que je suis tombé sur un livre de Kenneth White, La Figure du dehors, et ensuite j’ai lu tout ce qu’il avait publié, dont une série d’essais fraîchement parus (Une apocalypse tranquille, L’Esprit nomade), mais aussi ses livres de poèmes, Atlantica, Terre de diamant publiés chez Grasset, Le Grand Rivage, Mahamudra, sans oublier ses récits, La Route bleue, Dérives, Les Limbes incandescents. Quelques semaines plus tard, sachant qu’il enseignait au département d’anglais de la Sorbonne, j’ai déposé au secrétariat une enveloppe contenant des poèmes récents, dont l’un s’intitulait Marche au pays initial, nourri de mon expérience du Morvan quand j’étais enfant et adolescent. Très vite, j’ai reçu une lettre de Kenneth White où il me disait du bien de ce long poème et m’encourageait à continuer. Il écrivait notamment qu’on sentait dans ces pages l’esprit d’un rôdeur, ce que j’étais en effet, aussi à Paris. Dans Les Limbes incandescents, White raconte ses propres errances à travers Paris quand il était étudiant, je ne pouvais que me reconnaître en lui. Dans sa lettre, il me donnait aussi un conseil : épurer mon écriture en utilisant moins d’adjectifs. Cette lettre a compté énormément pour moi. L’écriture, la graphie de White est particulière, singulièrement belle, les caractères ressemblent à des runes, et il y avait la même énergie que dans ses poèmes.
Je n’ai pas osé aller plus loin à ce moment-là. Issu d’une famille sans grande culture littéraire (même si mon grand-père me récitait les premiers vers d’Oceano nox de Victor Hugo qu’il avait appris à l’école, ce qui, enfant, m’impressionnait beaucoup), je voyais un écrivain comme quelqu’un d’inaccessible. Je me trompais évidemment concernant White, je m’en suis rendu compte plus tard. Ce n’est que quelques années plus tard, après une première année en Allemagne, que je suis allé le saluer au festival des écrivains voyageurs de Saint-Malo, puis j’ai participé à son séminaire à la Sorbonne où j’ai découvert le caractère extravagant du personnage : en plein séminaire, White pouvait se mettre à entonner un chant gaëlique. Par la suite, on a échangé quelques lettres et coups de téléphone autour de l’Atelier de géopoétique (« l’Atelier des deux rives ») que j’ai fondé en Allemagne, avec son accord et une « affiliation » à l’Institut international de géopoétique fondé en 1989. C’est à Tübingen que j’ai proposé au directeur de l’Institut franco-allemand de l’inviter à venir faire une conférence à l’Université (en lien avec le département d’études romanes). En juillet 1997, Kenneth White a fait cette conférence intitulée « Les Chemins de la pensée poétique » que j’ai présentée et enregistrée sur cassette et qui concerne surtout la littérature et la philosophie allemandes que White avait lui-même étudiées à Munich pendant une année qu’il raconte dans son autobiographie Entre deux mondes. J’ai par la suite travaillé à un ouvrage collectif intitulé Kenneth White et la géopoétique qui est resté un ouvrage de référence.

Le terme de « géopoétique » est apparu sous la plume de plusieurs penseurs et poètes au cours des années 70, mais c’est chez Kenneth White qu’il a fait l’objet de la réflexion la plus poussée et la plus approfondie. Il apparaît pour la première fois dans un texte publié en 1979 à propos du voyage raconté dans son récit La Route bleue : « Automne 1979. Je voyage à travers les Laurentides, le long de la côte Nord du Saint-Laurent, en route pour le grand espace blanc du Labrador. Une nouvelle notion en tête : celle de géopoétique. L’idée qu’il faut sortir du texte historique et littéraire pour retrouver une poésie de plein vent où l’intelligence (intelligence incarnée) coule comme une rivière. Qui vive ? Oui, c’est la question. Ou peut-être est-ce plutôt un appel. Un appel qui vous attire au-dehors. Toujours plus loin au-dehors. Jusqu’à n’être plus cette personne trop connue, mais une voix, une grande voix anonyme venant du large, disant les dix mille choses d’un monde nouveau. Il faut bien que cela commence quelque part. Peut-être ici, et maintenant…» La géopoétique est finalement affirmée comme l’axe central de la pensée whitienne à partir de 1989, année de création de l’Institut international de géopoétique. Auparavant, White parlait le plus souvent de « biocosmopoésie », un terme un peu extravagant invitant à sortir d’une poésie vue comme une domaine particulier de la littérature afin d’ouvrir un plus large espace de sensation et de pensée. Avec la géopoétique, il donne la primauté à une « poétique de la terre » qui concerne la vie humaine dans son ensemble. Citons Kenneth White lui-même en 1989 (texte que j’ai reçu à l’époque, et qui me fit adhérer à l’Institut de géopoétique) : « Si, vers 1978, j’ai commencé à parler de ‘géopoétique’, c’est, d’une part, parce que la terre (la biosphère) était, de toute évidence, de plus en plus menacée, et qu’il fallait s’en préoccuper d’une manière à la fois profonde et efficace, d’autre part, parce qu’il m’était toujours apparu que la poétique la plus riche venait d’un contact avec la terre, d’une plongée dans l’espace biosphérique, d’une tentative pour lire les lignes du monde. » Les essais ultérieurs de White, notamment Le Plateau de l’albatros paru en 1994, sont des tentatives (c’est le sens propre du mot ‘essai’ depuis Montaigne) d’approcher ce qu’est (ou doit être) la géopoétique à travers l’étude d’auteurs du passé comme Henry David Thoreau ou Victor Segalen (deux figures tutélaires pour White). En somme, le fondateur de la géopoétique « théorise » celle-ci, mais toujours à partir de cas concrets, de parcours d’individus (poètes, philosophes, scientifiques) qui, comme lui, ont fait une expérience poétique de la Terre. J’insiste sur cette notion d’expérience, centrale pour moi. Si White écrit des récits, c’est aussi pour transmettre sa propre expérience à travers des marches et des pérégrinations – au cours desquelles se produisent des avancées sur le plan intellectuel et poétique. Je me suis reconnu totalement dans cette expérience du dehors en écrivant très tôt des poèmes et d’autres textes où il y va d’un rapport au monde à travers un déplacement (je me permets de renvoyer à mon livre de poèmes Erres paru aux éditions Tarmac). L’errance est au cœur de la géopoétique, à travers la découverte de lieux où se produit une expérience plus dense de la terre. Je dis bien « la terre » (avec ou sans majuscule), et non « la nature », car je considère qu’on a encore trop tendance, aujourd’hui, à cultiver un rapport sentimental à la « nature », surtout chez les poètes. J’aime que White, dès son premier livre En toute candeur, envisage la poésie comme un rapport à un fondement tellurique débordant largement toutes les notions trop romantiques de la « nature » : « Mes poèmes ne sont pas des ‘poèmes de la nature’, mais des poèmes de la terre. La ‘nature’ est trop humanisée. La terre est toujours une force nue, et le sera toujours. Les poètes sont de la terre dans le noir et dans la lumière. » Bref, la géopoétique est aussi une façon de nous libérer de nombreuses références culturelles usées et désuètes, il ne s’agit pas de sombrer dans le blabla pseudo-poétique ambiant qui va jusqu’à pourrir notre expérience du monde avec un langage inadéquat et dépassé. Kenneth White part du paysage écossais, soit une côte extrêmement fragmentée et complexe sur un plan géologique, c’est dans cette fragmentation et cette complexité géographique qu’il nous faut aussi apprendre à avancer, et cela exclut tous les discours poético-écologiques sympathiques mais creux et simplificateurs sur le monde qui nous entoure. Il y va bel et bien d’une poétique vigoureuse et exigeante qu’il reste à développer à travers l’écriture de poèmes, mais aussi de récits et d’essais. On sait aussi que les arts plastiques sont concernés par la géopoétique.


F.T. :Dans votre édito, vous citez Kenneth White disant qu’il est « urgent de répondre à la question culturelle » ? Est-ce cela aussi que vous cherchez à faire par l’ensemble de vos recherches, que je vous saurai gré de rappeler ici, que par la création de cette revue ?

L.M. :C’est une problématique qui remonte en fait au premier romantisme allemand réagissant aux Lumières, non pas pour les rejeter en bloc, mais pour ouvrir la raison à un champ de conscience et d’expérience plus large. Je me suis intéressé personnellement à cette période en faisant des recherches sur Novalis et les sciences de son temps, en particulier les sciences de la terre. J’ai notamment participé au séminaire de philosophie d’un spécialiste du premier romantisme allemand qui enseignait à l’Université de Tübingen, Manfred Frank. Il travaillait spécifiquement sur les textes philosophiques de l’époque, et analysait la critique de la philosophie de Fichte par certains penseurs d’alors, qui voyaient dans son concept de Moi placé comme fondement de toute sa philosophie une espèce de solipsisme isolant totalement l’homme et le coupant de l’univers et du vivant. Cependant, même chez Fichte, il y a un jeu entre Moi et Non-Moi, c’est ce « Wechselwirkung » (action réciproque) qui intéresse particulièrement Novalis dans ses « Études de Fichte » (200 pages de notes et de réflexions couchées sur le papier par Novalis lors de sa lecture des premiers écrits du philosophe). Dans un rapport universitaire, Manfred Frank a salué le caractère « pionnier » de mon travail de recherche (et de traduction) sur Novalis et les sciences. Je me suis plongé dans les écrits fragmentaires composés par Novalis lors de ses études à l’Académie des mines de Freiberg qui ont duré deux années. Novalis a notamment suivi les cours de l’un des plus grands géologues allemands de l’époque, Abraham Gottlob Werner, qui apparaît sous la forme du Maître dans le récit Les Disciples à Sais. À Freiberg, Novalis – de son vrai nom Friedrich von Hardenberg – développe une pensée tout à fait nouvelle pour l’époque : elle s’exprime dans différents ensembles de fragments, en particulier dans Le Brouillon général. Il s’agit pour lui d’élaborer une nouvelle systématique qui, plutôt que de rejeter le mélange minéralogique en raison de son chaos apparent, l’intègre dans un système ouvert à l’infini. Si les Lumières avaient proposé une encyclopédie dont le système de classification séparait les savoirs et les disciplines, Novalis envisage une « encyclopédistique » qui serait une combinatoire permettant des passages et des interactions entre tous les champs du savoir. Deux siècles plus tard, alors que les sciences sont plus que jamais confrontées à la complexité infinie du vivant et de l’univers, on commence tout juste à comprendre le caractère révolutionnaire de ce projet.


F.T. :Quelles sont donc les grandes pistes que vous comptez suivre dans cette revue ? Il me semble que les approches sont diversifiées, des poèmes, des notes, de courts essais ; voire sont ou pourraient être transdisciplinaires (entomologie, ornithologie, biologie ?)

L.M. :Je crois que, comme Kenneth White l’a fait, et comme j’ai pu le faire à sa suite au cours de mes propres recherches, il faut se tourner vers quelques grands esprits pluridisciplinaires tels que Novalis, Goethe ou Thoreau. Des poètes, des philosophes, des scientifiques peuvent se retrouver dans ce « champ du grand travail », pour reprendre l’expression de Kenneth White, champ où la poésie n’est plus un petit domaine de la littérature, mais où la poétique du monde peut permettre d’associer et d’articuler des disciplines et des savoirs divers.
Si la poésie est au cœur du projet géopoétique, celle-ci peut prendre des formes diverses qui ne correspondent pas à ce qu’on entend ordinairement par poésie. Un essai philosophique ou un livre scientifique peuvent être chargés de bien plus de poésie que n’importe lequel des poèmes de certaines revues de poésie contemporaines. Je suis en train de relire Van Gogh ou le suicidé de la société d’Antonin Artaud et ce texte va bien au-delà de tous les genres littéraires reconnus à l’époque et encore aujourd’hui, il ouvre son propre espace poétique qui est celui d’une expérience radicale. De même chez des auteurs japonais comme Bashô où le récit de voyage est entrecoupé de haïkus. Des hybridations peuvent et doivent se faire entre récit, essai et poème, sinon on reste dans les mêmes schémas littéraires existants, et cela ne permet pas une nouvelle respiration. Dans cette nouvelle revue de géopoétique, on cherchera à expérimenter de nouvelles formes, avec une ouverture au monde indispensable. Et on privilégiera des textes qui expriment une expérience authentique et profonde.
Nous continuerons par ailleurs à nous intéresser à Kenneth White, à travers des études sur son œuvre et sur sa pensée. J’ajoute que paraîtra prochainement un ouvrage collectif que j’ai dirigé avec Goulven Le Brech, responsable du fonds Kenneth White à l’IMEC, ouvrage édité par les éditions Tarmac.


F.T. :
Vous avez donc, courageusement, opté par une revue papier, en parution annuelle. Pensez-vous la compléter entre deux parutions par des mises en ligne ?

L.M. :Oui, j’ai déjà mis en ligne les poèmes de Gary Snyder du premier numéro traduits par Auxeméry sur mon site Oeuvres ouvertes et il y aura d’autres mises en ligne. Une possibilité de découvrir un peu la revue avant, peut-être, de la lire entièrement en format papier.



Laurent Margantin : Ses premiers textes ont été publiés par Kenneth White dans les Cahiers de géopoétique, ensuite des poèmes et des textes en prose ont paru dans Poésie 98, Fario, Le Nouveau Recueil, ainsi que des articles de recherche dans des revues spécialisées comme Romantisme, Littérature ou Mélusine.
Après des études en littérature comparée, Laurent Margantin s’est tourné vers la littérature allemande, avant de vivre une dizaine d’ années à Tübingen en Allemagne. Il y a notamment travaillé à un doctorat sur Novalis et les sciences de la terre, et à une anthologie du romantisme allemand intitulée La forme poétique du monde publiée aux éditions José Corti. Il a commencé à participer à la Revue des Ressources dès 1998 en faisant partie du comité de rédaction jusqu’en novembre 2009. Depuis, il dirige le site Oeuvres ouvertes.
Voir des articles de Laurent Margantin sur le site de La Revue des Ressources.
On signalera enfin que Laurent Margantin a une très importante activité de traducteur, notamment de Franz Kafka mais aussi de Peter Handke (parution récente de Dialogues intérieurs à la périphérie, 2016-2021 chez Verdier).