Ariane Dreyfus, “Nous nous attendons” précédé de “Iris, c’est votre bleu” lu par Elisabeth Soulassol


Deux livres d’Ariane Dreyfus, formant ce recueil qui parait dans la collection Poésie / Gallimard, sont explorés par Elisabeth Soulassol.



Ariane Dreyfus, Nous nous attendons précédé de Iris, c’est votre bleu, préface de Françoise Delorme, Éditions Gallimard, Collection Poésie Gallimard, 2023, 272 pages, 9.10 €.


Ode à la beauté naturelle des corps

Une nouvelle publication de la poète Ariane Dreyfus est toujours l’annonce d’un moment de complicité singulière. Cette fois-ci, elle se double de la reconnaissance de son talent par les éditions Gallimard. Certes, il s’agit d’une reprise de deux de ses anciens recueils Iris, c’est votre bleu (2008) et Nous nous attendons (2012), mais la réunion de ces recueils offre une nouvelle dimension à cette poésie exigeante. Celle d’une ode à la beauté naturelle des corps mouvants que ce soit dans la réalité amoureuse de l’acte sexuel ou dans la transformation poétique de la représentation des corps en peinture auxquels la poète sait donner vie.

Voici l’iris, le sexe de l’homme dressé qui s’enfonce dans le corps de la narratrice. Les bouches s’unissent dans les baisers et les amants se couvrent de caresses. Cette évocation s’entremêle à celle des enfants nés du ventre de la narratrice, « mon fils », « ma fille » qui grandissent et de la fuite du temps. Le « je » de la narratrice s’adresse au « tu » de l’amant mais seule la pensée du « je » est accessible. Cette poésie du regard porté sur l’intime ou l’horizon familial est également ancrée dans le monde. Plusieurs poèmes dénoncent la folie meurtrière des hommes qui outragent les corps de femmes. La poète évoque également la fragilité de la terre, celle d’un monde saccagé. Le « je » narrateur disparaît dans le deuxième recueil remplacé par les pronoms de la troisième personne du singulier et de « on », pronom du contact léger, mais on y retrouve cet attachement constant de la poète à montrer. Si les deux recueils célèbrent la rencontre entre les arts de la poésie, du cinéma, du dessin et de la peinture, ces derniers, effleurés dans le premier recueil avec le travail de Valérie Linder, deviennent le point central du deuxième puisque la poète suit le travail du peintre Gérard Schlosser qu’elle cite dans le sous-titre du recueil Reconnaissance à Gérard Schlosser. Dans Nous nous attendons, Ariane Dreyfus raconte ce qu’elle voit dans les tableaux du peintre et imagine les pensées et les actions des corps représentés.

Les yeux ouverts, la poète voit et trouve les mots pour partager cette vision avec son lecteur dans une langue soucieuse de lisibilité. Pas d’entrave au mouvement de la phrase qui se « débarrasse » de mots qui pourraient alourdir les vers. L’écriture de la poète s’allie au corps et à la pensée. Ce qui importe, c’est le désir de mise en lumière « Écrire est moins brûlant même quand c’est lent, /De face ou de dos/ Les mots ne voient personne. // J’en prends un pour en éclairer un autre ». (p.74). Ce qui est déroutant à première lecture devient une évidence par la suite. Ariane Dreyfus rapproche souvent sans outil de liaison des mots proches les uns des autres qui doivent s’ajuster pour susciter l’émotion. La lecture doit être attentive, et l’application constante comme lors de l’apprentissage d’une langue. La ponctuation peu présente dans le premier recueil tend à disparaître dans le deuxième laissant au lecteur le soin de lire « les yeux ouverts ».

Dans son désir de transparence, une introduction au deuxième recueil, des notes à la fin de chaque recueil, rendent compte des emprunts et rendent hommage à des artistes tels Israël Eliraz, Bernard Noël ou donnent des indications sur la genèse d’un poème. A la fin de la publication, dans un souci de partage – ou peut-être de légitimation d’une poésie qui peut sembler naïve –, dans Chantiers de poèmes (annexes), Ariane Dreyfus explique longuement la difficile fabrication de deux poèmes.

Elisabeth Soulassol