André Velter, “Trafiquer dans l’infini”, lu par Elisabeth Soulassol


Elisabeth Soulassol analyse dans ce livre récent d’André Velter ce qu’elle nomme “un souffle nouveau pour continuer à ‘aller contre’”


 

André Velter, Trafiquer dans l’infini, Gallimard, Collection Blanche, 2023, 136 pages, 15 €.


Placé sous l’égide d’Arthur Rimbaud, par le titre-même du recueil, de Stéphane Mallarmé, dans l’épigraphe, pour lequel la Beauté « n’a qu’une expression parfaite, la Poésie », ou encore de Charles Baudelaire « Sois toujours poète même en prose », le nouveau livre d’André Velter poursuit le chemin entrepris depuis Aisha – premier recueil coécrit avec Serge Sautreau et publié en 1966 – mais le renouvelle également. En effet, à côté des poèmes, le lecteur trouve des textes en prose que je qualifierais de « didactiques » qui semblent éclairer non seulement la lecture de poèmes du passé comme Délie de Maurice Scève mais aussi sa propre poésie. Ces séquences participent à donner à l’écriture velterienne un souffle nouveau « pour être témoin d’un duel qui est toujours là » (p.9), entre le réel et l’imaginaire.

Certes, le lecteur retrouve, dans ce livre, les thèmes qui sont chers à André Velter, comme ceux du voyage, de l’altitude, de l’amour, de la célébration de la poésie : « Je t’entends me dire encore que tu es la seule promesse qui tienne, // La seule, éternellement présente et réelle, qui dispense des prophéties, des mirages et des songes. //Je ne peux me passer de ce qui ne passe pas » (p.15) mais, à la suite du poète, il s’aventure dans une autre dimension, une sorte de mission : « Il m’appartient de forcer d’autres champs d’action, d’aborder d’autres partitions, d’explorer d’autres états de conscience » (p.9) car, selon le poète: « L’âge n’y est pour rien, c’est l’époque qui agonise » (p.9).

Pas de frontières ni dans le temps, ni dans l’espace pour le troubadour André Velter qui poursuit son chemin en faisant entendre les voix des poètes d’ici et d’ailleurs, des temps anciens à l’époque contemporaine. De courts poèmes évoquent ses voyages par le monde. Puis, nous suivons des itinéraires comme celui de « L’amour la poésie » qui, initié par Paul Éluard nous mène à Hadewijch d’Anvers en passant par les poétesses Sapphô, Louise Labé mais aussi Alfred de Vigny et d’autres encore. Les vers d’Omar Khayam sont le prétexte à une réflexion sur la condition humaine. Puis, c’est Jaufré Rudel qui nous accompagne dans le voyage de la fin amor, suivi par Pétrarque, brûlant du désir inaccessible pour Laure, avant de revenir longuement à l’étude de la poésie de Maurice Scève, « l’archétype du poète idéal » (p. 50). Nous suivons aussi les traces qui nous mènent de Jérome Édou à Lao-Tseu ou encore Li Po Quand rien de reste inaccompli.

C’est à quatre mains, avec son ami François Cheng, que se joue, ensuite, la partition des Onze fugues immobiles qui esquisse un parcours pour une « réorientation générale » (p.76) à la recherche d’une nouvelle alchimie, celle de la vie car il y a bien Assez de chaos en réserve « pour fomenter l’invasion de la vie nouvelle » (p.95). Dans Les traces qui tout effacent, le poète se confie sur cette rive qu’il a trouvée, celle de la beauté conquise. Le « Kaddish » le porte vers « Le plus haut », où se trouve ce dernier camp de base « pour être irrémédiablement face au Mont Analogue » – thème que l’on trouvait déjà dans L’amour extrême et autres poèmes pour Chantal Mauduit, ou encore dans Le Haut-Pays– vers la fée des glaciers, « à l’heure exacte du rendez-vous » (p.113). Dans Les 9 minutes 09 de Spiegel im spiegel, il rend hommage aux jalons géographiques, humains et littéraires qui l’accompagnent dans sa course pour continuer à « aller contre » un monde en perdition. Pour cela, il lui faudra « explorer à (son) compte, […] par désir d’extension amoureuse et sans frein de l’inconnu, jusqu’aux rives extrêmes de l’infini » (dernières lignes du recueil).
Résolument, pour André Velter :
L’altitude est pour moi
L’autre nom de l’amour
Avec à l’infini
L’aube de la vraie vie

Elisabeth Soulassol

André Velter, Trafiquer dans l’infini, Gallimard, Collection Blanche, 2023, 136 pages, 15 €.