Marie Huot, “Le nom de ce qui ne dort pas” et “Lampe-tempête”, lus par Jacqueline Merville


Jacqueline Merville traversant ici deux livres de Marie Huot parus chez Al Manar montre que “la vulnérabilité est un pouvoir”.


 

Marie Huot, Le nom de ce qui ne dort pas, Al Manar 2020, 15€


La vulnérabilité est un pouvoir

Marie Huot vit au seuil d’un grand Delta, les Camargues sont à portée de pas. On est très vite sur le rivage de la Méditerranée, immense espace liquide comme le fleuve qui s’y jette durant ses crues. Dans ses poèmes, c’est là, dans cette géographie, que voyage l’âme de ses morts et mortes. Dans son livre paru en 2020 chez Al Manar « Le nom de ce qui ne dort pas », elle y cherchait la voix de son père dans « la nuit de la nuit » à la manière d’une chamane interpellant le fleuve, les grandes eaux, les oiseaux.
Elle écrivait avec sa voix blanche, sa voix bleue, sa voix de cheval, de fausset, de contrebande.
« Ma voix brûlée demande :
Qu’as-tu enterré sous la neige derrière le tas de bois
à ce carrefour de Colmar ? »

Il y a des années, dans une vieille cave viticole battue par le mistral et la pluie, j’avais pour la première fois entendu Marie lire ses poèmes. Sa voix caressait les éléments en furie, allait avec eux sans les combattre. J’ai pensé, cette poésie-là est faite d’eau, de vent, est-ce pour cela qu’elle brasse le cœur sans avoir recours à aucun ornement ?
Son écriture installe des images faites de simplicité puis bascule soudainement ailleurs. Une sensibilité faite de délicatesse, de retenue, mais aussi de brefs coups de couteau.
On lit le noyau d’une vulnérabilité sans fard, sans chichi, de cette vulnérabilité de l’enfance. L’enfance est inquiète, elle cherche à épouser la vie des herbes, rivières, nuages, pour pouvoir respirer. L’amitié avec l’autre, avec la terre, serait la clef du secret. Ce n’est pas une posture candide, au contraire une incandescence affirmée, une voix de femme nous raconte de la mort, de la vie, cette énigme, et cela sans les détours de l’abstraction. Son dernier livre « Lampe-tempête » un opuscule dédié à la mémoire de Sarah, cherche lui aussi : où existons-nous après la mort ?
« Nous avions une petite sœur » ce vers ouvre 8 des 11 poèmes courts, chaque vers commence par une majuscule. Il y a de la liberté dans tout ça, celui de la langue du cœur, de sa respiration, un parti-pris pour bâtir la geste et le pouvoir de la vulnérabilité dans notre monde broyé par la brutalité, les tueries, la haine, le virilisme.
Marie Huot, une voix, fragment de la grande fresque du travail d’hier et d’aujourd’hui avec la langue, travail allant des déconstructions admirables de certaines voix jusqu’aux souffles éreintés ou épiques d’autres voix. La langue vit et toute manière de vivre avec elle est précieuse. Il ne faudrait pas en négliger certaines. Et comment ne pas ajouter que Marie Huot sert depuis longtemps, avec obstination, contre vents et marées administratives et budgétaires, les livres, la poésie en particulier, à la Médiathèque Van Gogh à Arles.

Jacqueline Merville

Marie Huot, “Le nom de ce qui ne dort pas”, Al Manar 2020, 15€
Marie Huot, “Lampe-tempête”, Al Manar, 2022, 12 €


Extrait de “Lampe-tempête”, paru chez Al Manar fin 2022 et accompagné d’un dessin de Bessonpierre.

Nous avions une petite sœur

Elle aimait London et Lorca
Ils attisaient ses frontières
Lui souffraient de dangereux voyages
A Grenade on entendait pleurer dans les
jardins
La blancheur de Grenade
La neige la neige de Grenade
Les beautés silencieuses de l’Orient
Là où se nouaient des histoires
Qui n’étaient pas des nœuds
Mais des ponts

London Lorca et notre petite sœur
Ont fermé leurs yeux à la même heure