A la découverte de Zuzanna Ginczanka, poète polonaise morte en 1944

Tomasz Cichawa porte à la connaissance des lecteurs de Poesibao la vie et l’oeuvre de la poète polonaise Zuzanna Ginczanka dont il vient de traduire et faire paraître la première édition en français



Zuzanna Ginczanka, À propos des centaures, traduction du polonais, Tomasz Cichawa, Les Éditions Toute Chose, 2022, 66 p., 9,50 €

La première rencontre avec Zuzanna Giczanka a été pour moi bouleversante (1). Tout d’abord, ce qu’on apprend de sa vie est… sa mort, son destin tragique. Cette poète de rare talent est assassinée en 1944 par les nazis, à l’âge de 27 ans, parce que juive. Le cauchemar de la guerre, de la cruauté des hommes au service des idéologies, sape l’espoir en l’Humain. On se hâte alors de remonter le fil de la vie et l’on s’accroche à la création… On enjambe la tombe, on refuse le cadavre d’une martyre et on fait renaître Ginczanka à travers son œuvre d’artiste, à travers quelques photographies et dessins, on reconstruit son personnage, en déblayant les décombres d’horreur. Un être vivant réapparaît : une femme fine, intelligente, créative, talentueuse, féminine dans son indépendance et belle, très belle, à la peau hâlée, telle Sulamite du Cantique des cantiques, la figure à laquelle Sana s’identifiait.

Zuzanna Polina Gincburg naît le 22 mars 1917 à Kiev, dans une famille juive russophone qui s’installe à Rivne (Ukraine). Les parents de Zuzanna divorcent et partent à l’étranger. C’est la grand-mère qui éduque l’enfant. Déjà toute petite, Zuzanna écrit des poèmes. Comme langue d’expression, elle choisit le polonais. Elle parle le russe, mais pas le yiddish. Elle lit beaucoup de poésie contemporaine polonaise et classique. Elle publie dans le journal de son lycée, puis, pour la première fois, en 1933, dans la presse nationale. En 1934 elle participe au concours de poésie d’un prestigieux journal polonais où elle obtient une mention honorable pour son Grammaire. En 1935, après avoir obtenu son bac, elle part pour Varsovie où elle côtoie ses idoles poétiques et des figures de la vie littéraire de la capitale (elle est amie avec Witold Gombrowicz…) ; elle est associée au groupe d’artistes Skamander (le grand poète Julian Tuwim fut le mentor de Zuzanna). Elle est reconnue de ses pairs aînés et appréciée pour ses textes et pour sa beauté exotique.

En 1936 paraît À propos des centaures, le seul recueil des poèmes de l’auteure, âgée alors de 19 ans. L’accueil est enthousiaste, on encense la maturité des textes, l’imagination et l’intuition poétique, la dextérité linguistique et la modernité de la forme. Ginczanka puise dans les ressources lexicales de l’ancien polonais et s’inspire des textes et des images bibliques, en s’inscrivant, par exemple, dans l’érotisme et la sensualité du Cantique des cantiques, tout en s’écartant des exégèses théologiques.

Après la mort de la poète, l’ensemble de son œuvre tombe, peu ou prou, dans l’oubli jusque dans les années 90. Des ouvrages biographiques et analytiques et des poèmes sont alors publiés par des éditeurs polonais.
À part quelques traductions éparses, l’écriture de Ginczanka reste inconnue aux lecteurs francophones. La présente édition (bilingue) de À propos des centaures contribue à combler ce vide. En annexe, le bouleversant Non omnis moriar, une sorte de testament de Ginczanka, écrit en 1942, complète l’ouvrage présenté.
Voici la première traduction intégrale du recueil de Zuzanna Ginczanka en français et c’est avec bonheur et émotion que je le soumets aux lecteurs et lectrices de la planète Poésie.
« Reviens, reviens, Sulamite ;
reviens, reviens, que nous te regardions ! » (Le Cantique des cantiques)

Tomasz Cichawa



(1) L’auteur de ces lignes est le traducteur et l’éditeur du recueil. Le présent texte est une adaptation pour Poezibao de la préface du livre.

Zuzanna Ginczanka, À propos des centaures, traduction du polonais, Tomasz Cichawa, Les Éditions Toute Chose, 2022, 66 p., 9,50 €

Poèmes
À propos des centaures • Processus • Orgueil • Canticum canticorum • Le contenu • Malversation • Navigation • Fourrure • Grammaire • Virginité • Cela seul • Trahison • Éclaircissement dans la marge • Aliénation • Déclaration • À la place d’une lettre rose • Pêche • Non omnis moriar